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mis la joie dans mon cœur[1] ». Attends[2] le Seigneur, agis avec courage, que ton cœur se fortifie, et attends le Seigneur. Qu’est-ce à dire : Attends le Seigneur ? Que tu recevras quand il lui plaira de te donner, sans exiger selon ta volonté. Ce n’est point le temps de donner ; il t’a attendu, attends-le à ton tour Que dis-je, il t’a attendu, attends-le à ton tour ? Si tu vis selon la justice, si tu es converti à lui, si tes actions d’autrefois te déplaisent, si tu as préféré choisir une vie de bonnes œuvres, ne te hâte point d’exiger ta récompense. Dieu a bien voulu attendre ton changement de vie, attends à ton tour qu’il couronne une vie sainte. Si Dieu n’avait daigné t’attendre, il ne pourrait te donner ; attends dès lors, puisqu’il t’a attendu[3]. Mais toi qui ne veux point te corriger ; ô qui toue tu sois, qui refuses de te redresser encore ; comme s’il n’y en avait qu’un seul, j’aurais mieux dit : Vous tous qui êtes ici. Toi néanmoins qui es ici, si toutefois tu es ici, qui n’as pas un dessein arrêté de te corriger ; je veux parler comme à un seul. O toi qui ne veux aucun redressement, quelle promesse te fais-tu ? Veux-tu périr par désespoir ou par l’espérance ? Tu péris par désespoir, quand tu dis en ton cœur : « Mon iniquité est sur moi, je languis dans mes péchés ; pour moi, quelle espérance de vivre ? Écoute la réponse du Prophète : « Je ne veux point la mort de l’impie, mais seulement qu’il se détourne de sa voie mauvaise et qu’il vive[4] ». Veux-tu périr par l’espérance ? Comment périr par l’espérance ? Tu dis en ton âme : Dieu est bon, Dieu est miséricordieux, il pardonne tout, et ne rendra point le mal pour le mal. Écoute la parole de l’Apôtre : « Ignores-tu que la patience de Dieu est une invitation à la pénitence ? » Que reste-t-il donc ? Tu as profité déjà si mes paroles sont entrées dans ton cœur. Je vois ce qu’on pourrait me répondre : Tout cela est vrai, mais je ne vis point sans espérance, de manière à mourir par désespoir ; et je n’ai point une fausse conscience, de manière à mourir par espérance. Je ne dis point : Mon iniquité est sur moi, et je n’ai plus d’espérance ; je ne dis pas non plus : Dieu est bon, et ne rendra point le mal ; je ne tiens ni l’un ni l’autre de ces langages. D’une part, c’est le Prophète qui me maintient, d’autre part c’est l’Apôtre. Et que dis-tu ? Que je vivrai quelque temps encore à ma fantaisie. Voilà les hommes qui nous fatiguent ; ils sont nombreux et ennuyeux. Quelque temps encore je vivrai à ma fantaisie ; plus tard je me convertirai, un jour. Car elle est vraie cette parole du Prophète : Je ne veux point la mort de l’impie, mais qu’il se détourne de sa voie détestable, et qu’il vive ; quand je me convertirai, Dieu effacera toutes mes fautes, et pourquoi ne pas prolonger mes plaisirs, vivre autant que je voudrai, et comme je voudrai, puis ensuite me tourner vers Dieu ? Pourquoi parler ainsi, mon frère ? Pourquoi ? Parce que Dieu m’a promis le pardon si je change de vie. Je le vois, je le sais, il t’a promis le pardon par son saint Prophète, il te le promet par moi, le moindre de ses ministres. Le promet-il ? Ses promesses sont vraies, et il a promis le pardon par la bouche de son Fils unique. Mais pourquoi ajouter des jours mauvais à des jours mauvais ? Qu’à chaque jour suffise sa malice : hier était un jour mauvais, aujourd’hui un jour mauvais, demain un jour mauvais ? Crois-tu qu’ils soient bons, ces jours où tu donnes libre carrière à tes passions voluptueuses ? où tu rassasies ton cœur de luxure ? où tu tends des embûches à la vertu d’autrui ? où tu affliges ton prochain par des fraudes ? où tu nies un dépôt ? où tu fais un faux serment pour une pièce de monnaie ? où tu t’assieds à un bon dîner, crois-tu passer ainsi une bonne journée ? Une chose me suffit, répond ce pécheur, c’est d’obtenir le pardon ; pourquoi ? Parce que Dieu m’a promis ce pardon ; mais nul ne t’a promis de vivre jusqu’à demain, ou lis-moi ce passage. De même que tu lis dans le Prophète, dans l’Évangile, dans l’Apôtre, qu’au jour de ta conversion Dieu te pardonnera tes iniquités ; lis-moi ce passage, qui te promet de vivre demain, et demain livre-toi au mal. Toutefois, ô mon frère, je ne devrais point te parler de

  1. Ici commence le sermon 40 de l’édition, ainsi intitulé : « Du même passage de l’Ecclésiastique, 5, 8 : « Ne tarde pas à te convertir au Seigneur, etc, contre ceux qui diffèrent leur conversion de jour en jour, et dont les uns périssent par une fausse espérance, les autres par désespoir ». Sermon tiré des mêmes catalogues que le sermon CCCXXXIX.
  2. L’édition commence ainsi le sermon XL : « Bien souvent, mes frères, nous avons chanté avec le Psalmiste :Sustine Dominum.
  3. Qu’un juge clairvoyant lise et relise, qu’il médite pour trouver le lien qui rattache cette première période, telle qu’elle est dans l’édition, où elle tient lieu d’exorde, avec les autres parties du sermon. S’ils ne le peuvent, il faut avouer que le sermon de l’édition n’est pas intègre, que cette première période se rattache aux précédentes, que c’est une manière de revenir sur une confiance excessive et sur le désespoir, d’abord parce que c’est un sermon de morale, ensuite parce que toute sa sollicitude pastorale lui fait un devoir d’en parler.
  4. Eze. 33, 11