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parce que je ne sais quand viendra le voleur, faites-moi connaître « ce qui me fait défaut ».

12. Ici, mes frères, soyons sur nos gardes, afin de savoir ce qui nous fait défaut. La tentation du chrétien est l’épreuve du chrétien. Car celui qui est tenté comprend ce qui lui manque. De deux choses l’une : ou il comprend ce qu’il possède, ou il comprend ce qui lui manque. Abraham fut tenté, non pour qu’il comprît ce qui lui manquait, mais afin que nous pussions voir en lui un modèle à imiter. Il fut tenté au sujet de son fils. Quelle fut cette tentation ? Il désira un fils quand son âge avancé ne lui en laissait plus espérer. Et néanmoins, quand il entendit la promesse de Dieu, il n’hésita pas un instant ; il crut et eut un fils ; il le mérita et le reçut du Seigneur. Ce fils naquit, fut nourri, avança en âge, fut sevré, et il fut dit à Abraham : « Toutes les nations seront bénies en ta race[1] ». Abraham savait en qui de sa race ; et nous en avons le témoignage dans l’Évangile. « Abraham désira voir mon jour[2] », dit le Sauveur, « il le vit et en tressaillit de joie ». Abraham le connaissait donc. Après tout ce qu’il avait cru, il entendit cet ordre du Seigneur : Abraham, va m’offrir ton fils en sacrifice. Pourquoi cette tentation[3] ? Dieu ne connaissait-il point sa foi ? Assurément, mais c’est pour nous que Dieu daigna la mettre en évidence. C’est à nous qu’il est dit : Offre-moi ta bourse en sacrifice ; et nous hésitons. Quel est ce sacrifice ? « Faites l’aumône, et voilà que tout est pur pour vous[4] ». Et encore : « Je veux la miséricorde plutôt que le sacrifice[5] ». Donne de ta bourse, dit l’Évangile, et toi tu la resserres. Que serait-ce, si l’on te demandait ton fils ? Quand tu hésites au sujet de ta bourse, que ferais-tu au sujet de ton fils ? « Afin que je sache ce qui me fait défaut. ». Je le dirai, mais non sans en souffrir et en rougir. Bien des femmes veulent souvent se dévouer au service de Dieu, et quand elles en ont le courage, elles disent à leurs parents : Laissez-moi aller. Je veux être la vierge de Dieu, ou je veux être le serviteur de Dieu ; et ils s’entendent répondre : ni sauvée, ni sauvé. Il n’en sera point selon tes désirs. Tu feras ce que je voudrai. Que serait-ce, si l’on te disait : Donne-toi la mort ? Tu vis, la vie éternelle t’est promise, elle est devant toi, et tu refuses, tu hésites, tu entres en lutte ? Assurément, tu es chrétien ? Pourquoi, mon cher ? Parce que je suis chrétien, faut-il que je sois sans postérité ? Faut-il que tu sois sans postérité ? Tu sais alors ce qui te fait défaut. Tu as jeûné hier ? Chante ce que chantait David : « Faites-moi connaître, Seigneur, quelle est ma fin et le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui me fait défaut ». Que Dieu, dans sa miséricorde, nous mette chaque jour dans l’agitation, dans la tentation, dans l’épreuve, dans le labeur, afin que nous avancions dans la vertu. « Car la tribulation produit la patience, la patience l’épreuve, et l’épreuve l’espérance. Or, cette espérance n’est point vaine[6] ».

13. Donc, mes frères, soyons avides chaque jour de connaître ce qui nous fait défaut, de peur que, si nous étions dans la sécurité, le grand jour ne vienne et qu’il n’y ait plus rien de ce que nous comptions avoir ; et qu’alors nous n’entendions cette parole : « Qui vous confessera dans l’enfer ?[7] » Donc, mes frères, appliquons-nous à marcher vers Dieu chaque jour, faisant bon marché de ces biens passagers que nous devons laisser ici-bas. Fixons les yeux sur la foi d’Abraham, et comme lui aussi fut notre père, imitons sa piété, imitons sa foi. Si l’épreuve nous vient à propos de nos enfants, demeurons sans crainte ; si elle vient du côté de nos biens, soyons également sans crainte ; s’il nous arrive des infirmités corporelles, plaçons notre espoir dans le Seigneur. Nous sommes chrétiens, nous sommes étrangers ici-bas. Soyons sans crainte, la patrie n’est point en cette vie. Celui qui veut se faire une patrie sur la terre, perdra cette patrie et n’arrivera point à l’autre. Comme des fils dévoués, allons à cette patrie ; afin que Dieu lui-même approuve et dirige notre course. Tournons-nous du côté du Seigneur, etc.

  1. Gen. 22, 18
  2. Jn. 8, 56
  3. Gen. 22
  4. Luc. 11, 41
  5. Mat. 9, 13 ; 12, 7
  6. Rom. 5, 3
  7. Psa. 6, 6