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que nous avons pour nos yeux plus d’amour que pour les autres membres, quand il exprime ainsi l’attachement des Églises pour lui : « Je vous rends ce témoignage que vous étiez prêts à vous arracher les yeux, s’il eût été possible, pour me les donner[1] ». Dans le corps humain donc, la place la plus élevée, la plus honorable, est pour les yeux, et dans ce même corps, rien n’est plus éloigné que le dernier doigt du pied. Et toutefois, dans un corps humain, un doigt qui est sain est plus avantageux que l’œil qui est chassieux et obscurci. Car, la santé qui est commune à tous les membres du corps, est plus précieuse néanmoins quand il s’agit de l’office de chacun. De même, tu vois dans l’Église un homme peu élevé, mais qui a reçu quelque don, et qui a la charité ; un autre homme est plus élevé dans l’Église par un don supérieur, mais il n’a pas la charité. Que l’un soit pour nous le dernier doigt, et l’autre l’œil. Celui-là est plus lié au corps, qui jouit d’une santé plus complète. Enfin ce qu’il y a de malade en un corps, est nuisible à tout autre corps, et tous les membres s’appliquent à guérir une partie malade, et souvent y parviennent. Mais si l’on ne peut la guérir, et qu’elle soit gangrenée au point de ne plus guérir, on garantit les autres membres, en retranchant cette partie de l’unité du corps.

7. Que le premier venu, que Donat, par exemple, soit comme l’œil dans le corps humain ; qu’il soit donc l’œil, car nous ne savons ce qu’il a été, mais qu’il soit l’homme doué, comme son nom l’indique ; de quoi lui a servi la supériorité de l’honneur et de la gloire ? Il n’a pu conserver la santé, parce qu’il n’avait pas la charité. Ensuite, ces membres-là sont tellement gangrenés, qu’il a fallu de toute nécessité les retrancher, et ceux qu’ils se vantent d’avoir gagnés sont des vers de pourriture. Ce sont des vers retranchés, et qui ne sauraient arriver à la santé. Car un membre peut revenir à la santé, tant qu’il fait partie du corps, sans en être retranché. Des membres sains, en effet, peut découler la santé sur un endroit blessé. Mais qu’un membre soit retranché et souffre d’une blessure, il n’y a plus pour lui ni canal, ni source, d’où la santé puisse arriver jusqu’à lui. Aussi sont-ils comparés à des sarments retranchés, dans notre Évangile, lequel est d’accord avec l’épître de l’Apôtre. Là aussi, le Seigneur ne nous a recommandé, pour demeurer en lui, rien de si efficace que la charité : « Pour moi », dit-il, « je suis la vigne, vous êtes les branches, et mon Père le vigneron. Tout sarment qui rapporte du fruit en moi, il l’émonde, afin qu’il en rapporte davantage ; mais il retranche tout ce qui ne rapporte aucun fruit en moi[2] ». Or, le fruit vient de la charité ; car le fruit ne vient que sur la racine. Et l’Apôtre a dit « Soyez enracinés et fondés sur la charité[3] ». La racine est donc là d’où sort tout fruit. Quiconque en est séparé, bien qu’il paraisse y tenir, ou bien est déjà retranché secrètement, ou bien le sera au grand jour : il ne peut donc rapporter aucun fruit. Ceux-là étaient jadis dans l’unité, on les a retranchés ; d’où retranchés ? de l’unité. Mais, c’est vous, disent-ils, qui êtes retranchés. Que faire ? Moi je vous dis : Vous êtes retranchés ; vous, de votre côté, me dites : C’est vous qui êtes retranchés. Que le Seigneur en juge. C’est donc remettre la cause, pour la porter au jugement de Dieu ? Point du tout. Bien souvent nous en agissons ainsi, quand le jugement de Dieu ne s’est point encore manifesté. Mais quand il apparaît, saisissons-le, et nulle remise. J’ouvre les Écritures, et je vois qui est retranché de l’Église. Si l’Écriture, en effet, rend témoignage au parti de Donat, à quelque Église établie sur une certaine partie de la terre, comme le parti de Donat est établi en Afrique, qu’ils disent que nous sommes retranchés, qu’ils disent que ce sont eux qui sont sur la racine. Mais si l’Écriture ne rend témoignage qu’à l’Église qui est répandue par toute la terre, à quoi bon plaider notre cause au tribunal d’un homme ? Nous avons Dieu pour juge ; et s’il ne siège pas sur un tribunal, il siège dans l’Évangile.

8. Naguère on a jugé Crispinus comme hérétique[4]. Mais qu’a-t-il dit ? Suis-je donc condamné par l’Évangile ? alléguant ainsi qu’il n’est point condamné, puisque c’est le proconsul et non le Christ qui s’est prononcé contre lui. Lui-même a importuné le proconsul, pour lui demander une sentence ; lui-même a dit : Écoutez-moi. Je ne suis point un hérétique. Tu déclines maintenant le jugement que tu as toi-même invoqué ? Pourquoi ?

  1. Gal. 4, 15
  2. Jn. 15, 1-2
  3. Eph. 3, 17
  4. L’an 401, voyez l’histoire de saint Augustin et saint Augustin en plusieurs endroits.