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tour, ne se rend pas compte auparavant de la dépense nécessaire, pour savoir s’il peut l’achever ? De peur que, s’il jette les fondements et ne puisse terminer, ceux qui passeront par là ne disent : Voilà un homme qui a commencé à bâtir sans pouvoir achever. Ou bien, quel est encore le roi qui, voulant combattre un autre roi, n’examine pas, auparavant, s’il peut marcher avec dix mille hommes contre celui qui en a vingt mille ? Et, s’il ne le peut, il lui envoie demander la paix quand il est encore loin ». Et voici la conclusion qu’il donne à ces deux comparaisons : « De même, tout homme qui ne renonce point à tout ce qu’il possède ne saurait être mon disciple[1] ». Or, s’il n’y a que les disciples présents pour porter ce nom, ces paroles ne s’adressent point à nous. Mais comme, selon le témoignage de l’Écriture, tous les chrétiens sont disciples du Christ : « Car vous « n’avez qu’un seul maître qui est le Christ »[2], que celui-là seul renonce à être disciple du Christ, qui ne veut point le Christ pour maître. Ce n’est point, en effet, parce que nous vous parlons d’un lieu plus élevé, que nous sommes des maîtres pour vous. Car c’est le maître de tous qui a sa chaire par-dessus tous les cieux, et vous et nous sommes condisciples ; seulement, nous sommes des moniteurs, comme les plus élevés en classe. Il y a donc une tour et des dépenses, la foi et la patience. La tour c’est la foi, les dépenses sont la patience. Quiconque ne saurait supporter les peines de cette vie, est au-dessous des dépenses. Le roi méchant qui marche avec vingt mille hommes, c’est le diable ; et celui qui marche avec dix mille, c’est le chrétien. Un contre deux ; la vérité contre le mensonge, la simplicité contre la duplicité ; sois simple de cœur ; loin de toi toute hypocrisie, qui montre une chose et en fait une autre, et tu vaincras la duplicité qui se transforme en ange de lumière. D’où viennent et où sont ces dépenses ? Où est cette simplicité parfaite, absolument stable et inébranlable dans sa persévérance ? Dans la parole qui suit et qui nous paraît dure : c’est-à-dire, comme nous l’avons avancé, que la parole, de Dieu n’est flatteuse pour personne. Celle-ci, par exemple : « Quiconque ne renonce point à tout ce qu’il possède, ne saurait être mon disciple ». Beaucoup l’ont fait et se sont anéantis avant d’être pressés par la persécution, et ont renoncé à tout ce qu’ils avaient au monde pour suivre le Christ. Ainsi en fut-il des Apôtres, qui dirent : « Voilà que nous avons tout abandonné pour vous suivre[3] ». Toutefois eux-mêmes n’ont pas abandonné de grands biens, puisqu’ils étaient pauvres ; mais, à nos yeux, vaincre toutes les convoitises, c’est abandonner de grandes richesses.

3. Enfin, les disciples tinrent ce langage au Seigneur, quand s’en alla, tout triste, le jeune homme riche qui avait recueilli de la bouche du Maître le plus véridique, le conseil de la vie éternelle qu’il avait demandé. Un jeune homme riche était venu en effet trouver le divin Maître, et lui avait dit : « Bon Maître, quel bien dois-je faire pour acquérir la vie éternelle ? » On dirait que parmi les interminables délices de ses richesses, il ressentait l’aiguillon de la mort à venir, et séchait de dépit ; car il savait qu’il n’emporterait rien avec lui de ses grands biens, et son âme dénuée de tout gémissait au milieu des richesses du temps. Environné de biens, il disait, ce semble, en lui-même : Tout cela est bien, tout cela est beau, tout cela est délicieux, tout cela est agréable ; mais quand viendra l’heure unique, l’heure dernière, il faudra tout abandonner, rien de tout cela ne s’emporte. Il ne reste que la vie et la conscience ; oui, après le corps, la vie de l’âme, et uniquement la conscience. Et si la conscience est mauvaise, ce n’est plus une vie, mais une autre mort, qu’il faut appeler, et la pire des morts. Rien en effet n’est pire que la mort, sinon cette mort qui ne meurt point. Telles étaient, au milieu de ses délices, les pensées de ce jeune homme si riche qui vient trouver le Sauveur. Il se disait donc : Si je puis avoir la vie éternelle après ces grandes richesses, quel bonheur surpassera le mien ? De là cette inquiétude qui le porte à interroger et à dire : « Bon Maître, que ferai-je pour acquérir la vie éternelle ?[4] » Et le Seigneur lui répondit tout d’abord : « Pourquoi m’appeler bon ? Il n’y a de bon que Dieu seul [5] ». Ce qui revient à dire : Nul ne peut te rendre heureux, que Dieu seul. Les biens que possèdent les riches sont des biens, à la vérité, mais qui ne rendent pas bons leurs possesseurs. Si ces biens rendaient bons, l’homme serait d’autant supérieur en bonté, qu’il l’est en richesses. Mais quand nous les

  1. Luc. 14, 28-33
  2. Mat. 21, 10
  3. Luc. 18, 28
  4. Mat. 19, 16
  5. Id. 17