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venait pour souffrir, il venait pour mourir, la mort était en sa puissance, et, si je ne me trompe, écoutez-le lui-même « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir de la reprendre ensuite ; nul ne me l’ôte, mais je la donne moi-même, et j’ai le pouvoir de la reprendre ». Entendez-vous son pouvoir ? « Nul ne me l’ôte[1] ». En vain les Juifs se glorifient. Sa mort est pour eux un crime, et non une puissance. Le Christ est mort, parce qu’il l’a voulu. Lui-même a dit dans un psaume : « Je me suis endormi, j’ai pris mon sommeil[2] ». Ils ont crié : « Crucifiez-le, crucifiez-le[3] », l’ont saisi, l’ont suspendu à la croix. Ils se flattent d’avoir prévalu contre lui : « J’ai dormi », dit-il, et ensuite : « J’ai pris mon sommeil » ; véritable sommeil de trois jours. Et ensuite ? « Et j’ai ressuscité, parce que le Seigneur m’a soutenu ». C’est dans la forme de l’esclave qu’il dit ici : « Le Seigneur m’a soutenu[4] » ; de même qu’il dit ailleurs : « Celui qui dort ne doit-il donc pas ressusciter ?[5] » Les Juifs se glorifient comme s’ils avaient vaincu. Mais : « Celui qui dort ne doit-il donc pas ressusciter ? » Ceux-ci, pour le mettre à mort, l’ont pendu à la croix, mais : « J’ai dormi », parce que j’ai donné ma vie quand j’ai voulu, et quanti j’ai voulu encore, je suis ressuscité.

3. Donc, ce calice qu’il voulait éloigner de lui, c’était pour le boire qu’il était venu. Pourquoi donc, Seigneur, disiez-vous : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ? » Pourquoi dire à vos disciples, quand il vous faut souffrir et mourir : « Mon âme est triste jusqu’à la mort[6] ? » Pourquoi avec ces paroles, ces autres paroles : « J’ai le pouvoir de rendre mon âme, et le pouvoir de la reprendre ». D’où vient que j’entends : « Mon âme est triste jusqu’à la mort ? » Nul ne la ravit. D’où vient qu’elle est triste ? Vous avez le pouvoir de rendre votre âme. Pourquoi dire : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ? » Répondant à cette question, il te dit : O homme, cette chair que j’ai prise est la tienne ; si donc j’ai emprunté ta chair, ne puis-je aussi emprunter ta parole ? Quand je dis : « J’ai le pouvoir de rendre mon âme, et aussi le pouvoir de la reprendre », je parle en Créateur ; et quand je dis : « Mon âme est triste jusqu’à la mort », je parle en créature, comme toi. Applaudis-moi en moi-même, et reconnais-toi en moi. En disant : « J’ai le pouvoir de donner ma vie », je suis ton soutien. En disant : « Mon âme est triste jusqu’à la mort », je suis ton image.

4. N’avez-vous donc point lu qu’il est mort ? L’avons-nous jamais nié ? Nier sa mort, ce serait nier sa résurrection. Il est mort par cela même qu’il a voulu être homme. Il est ressuscité par cela même qu’il a daigné se faire homme, parce que nous autres hommes, nous devons et mourir et ressusciter. Est-ce donc le Verbe qui est mort en lui ? Pouvait-il souffrir ce qui « au commencement était le « Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ? » Que peut souffrir un tel Verbe ? Et pourtant il fallait que le Verbe mourût pour nous ; lui qui ne pouvait mourir devait mourir néanmoins. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu, et le Verbe était en Dieu[7] » ; où est le sang ? où est la mort ? La mort est-elle dans le Verbe ? Ce Verbe a-t-il du sang ? Mais si la mort n’est pas dans le Verbe, ni le sang dans le Verbe, où sera le prix de notre rançon ? Ce prix, n’est-ce point son sang ? Comment pourrait-il donner ce prix, s’il demeurait simplement le Verbe, si le Verbe ne prenait une chair, une chair vivant dans une âme humaine, afin que si le Verbe ne peut être mis à mort, cette chair seule qui prenait la vie en son âme fût immolée ? Car l’âme, à son tour, ne pouvait être mise à mort, elle qui, s’attachant à la divinité, devient un même esprit avec Dieu, elle dont le Seigneur a daigné se revêtir, se l’unissant bien plus que nous ne lui sommes unis par la foi dont il est écrit : « Quiconque s’unit au Seigneur est un même esprit avec lui[8] ». Et en effet, quand nous étions dans l’infidélité, nous étions indignes de Dieu, étrangers pour lui ; mais la foi nous a réunis à lui. Or, cette âme a été créée digne de s’attacher à Dieu, quand, nouvelle et inculte, elle a été unie à la personne divine. Mais, en vertu de cette union, il est arrivé que la chair à laquelle cette unité de deux esprits inégaux donnait une vie toute nouvelle, et d’un genre nouveau, a dû mourir dès que cette unification de deux esprits l’a délaissée, en se séparant d’elle pour un temps très-court. Dieu, qui est un esprit, et l’esprit humain qui est son image, sont en effet immortels.

  1. Jean 10, 18
  2. Psa. 3, 6
  3. Luc. 23, 21 ; Jn. 19, 6
  4. Psa. 3, 6
  5. Id. 11, 9
  6. Mat. 26, 38
  7. Jn. 1, 1
  8. 2Co. 6, 17