Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/358

Cette page n’a pas encore été corrigée

vous irriter contre moi, mais voici que Paul lui-même prend ma défense et semble vous dire : Ne vous irritez pas. « Or, ce n’est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi[1] ». De même, sur le point de souffrir le martyre dont nous célébrions hier l’anniversaire, que dit-il ? « Je suis déjà immolé, et le temps de ma dissolution approche. J’ai combattu le bon combat, j’ai consommé ma course, j’ai conservé la foi. Il ne me reste plus qu’à attendre la couronne de la justice, que le Seigneur me rendra en sa qualité de souverain Juge[2] ». Celui qui mérite la couronne est clairement désigné : « J’ai combattu le bon combat, j’ai consommé ma course, j’ai conservé la foi ». Le Seigneur rendra ce qui est dû, mais rien ne serait dû à personne, si Dieu lui-même n’avait commencé par nous donner ce qu’il ne nous devait pas. Vous venez d’entendre saint Paul, assuré de recevoir de Dieu ce qui lui est dû ; écoutez maintenant Jésus-Christ, traitant avec nous ; c’est l’Apôtre lui-même qui nous le montre nous comblant de bienfaits qui ne nous étaient dus à aucun titre. « Je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu[3] ». Cette parole doit vous faire comprendre ce que méritait celui pour qui vous voyez préparer une couronne. Considérez saint Paul, et voyez s’il n’a pas subi le châtiment qu’il méritait ; il a persécuté l’Église de Dieu, de quelle croix n’est-il pas digne ? Quels tourments n’a-t-il pas mérités ? « Je ne suis pas digne », dit-il, « d’être appelé Apôtre. Je sais ce qui m’était dû ; comment donc ai-je reçu l’Apostolat, moi qui ai persécuté l’Église de Dieu ? Voyez-vous donc l’Apôtre ? Mais c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis[4] ». O grâce de Dieu, donnée gratuitement et sans qu’elle puisse paraître en quoi que ce soit une récompense ! Cette grâce ne trouva dans Saul que des titres au châtiment, et elle opéra en lui des titres à la récompense.
5. Voyez ce qui suit : « C’est par la grâce de Dieu », dit-il, « que je suis ce que je suis, car je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, moi qui ai persécuté l’Église de Dieu ? Je m’attendais à des supplices, et je trouve des récompenses. D’où me vient cette faveur ? Parce que c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et la grâce de Dieu n’a pas été vaine en moi, car j’ai plus travaillé que tous les autres apôtres ». De nouveau vous commencez à vous élever ? « Ce n’est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi ». Bien, très-bien, Paul et non plus Saul, petit et non plus orgueilleux. Saul était un nom d’orgueil, car c’était le nom du premier roi d’Israël, d’autant plus jaloux qu’il était plus célèbre, et qui persécuta le saint roi David ; c’est donc par un secret dessein de Dieu que l’Apôtre avait d’abord reçu le nom de Saul, c’est-à-dire le nom d’un persécuteur. Mais que signifie le mot Paul ? Paul signifie petit, très-petit. Pesez cette parole, vous qui connaissez les belles-lettres ; rappelez-vous également la coutume, vous qui n’entendez rien à la littérature. Paul est petit ; regardez-le donc ; ce n’est plus Saul altéré de sang et de carnage, c’est maintenant Paul, qui ne craint pas de se dire « le dernier d’entre les Apôtres[5] ». Il en est le dernier, mais c’est lui qui a converti le plus grand nombre de pécheurs.
6. Rappelons-nous ce vêtement, peut-être le plus petit de tous ; en le touchant, une femme malade, image de l’église des Gentils, fut guérie d’une perte de sang. Or, c’est vers les Gentils que Paul fut envoyé pour leur porter le salut, quoiqu’il se crût le plus petit des Apôtres. Sachez également que cette femme qui toucha la robe du Sauveur, Jésus-Christ déclara qu’il ne la connaissait pas ; mais cette ignorance n’était que simulée. En effet, que pouvait ignorer Jésus-Christ véritablement Dieu ? Et cependant, parce que cette femme représentait l’église des Gentils, dans laquelle le Seigneur ne se trouvait que par ses Apôtres, et non point par une présence corporelle, dès que le Sauveur sentit toucher la frange de son vêtement, il s’écria « Qui m’a touché ? » Les Apôtres répondirent « La foule vous presse et vous écrase, et vous « demandez : Qui m’a touché ? » Jésus-Christ répliqua : « Quelqu’un m’a touché[6] ». La foule accable, mais la foi touche. Mes frères, soyez de ceux qui touchent, et non pas de ceux qui accablent. « Qui m’a touché ; quelqu’un m’a touché ». Jésus-Christ feint l’ignorance ; ce n’est point un mensonge, mais une figure. Quelle est cette figure ? « Le peuple que je n’ai pas connu est devenu mon serviteur fidèle[7] ».
7. Sur le point de souffrir le martyre, de terminer vos travaux et de recevoir la couronne, grand Apôtre, ne craignez pas de dire « Je me dissous déjà, le temps de ma mort approche ; j’ai combattu le bon combat, j’ai consommé ma course[8] ». À quoi servirait le combat, s’il n’était pas suivi de la victoire ? Vous dites que vous avez combattu ; dites d’où vous est venue la victoire ; dans un autre passage il répond à cette question « Je rends grâces à Dieu qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ[9]. « J’ai consommé ma course ». Vous avez consommé votre course ? Reconnaissez-le « C’est l’œuvre non pas de celui qui veut, ou de celui qui court, mais de Dieu qui fait a miséricorde[10] ». Vous dites encore : « J’ai conservé la foi ». Vous avez conservé la foi, vous l’avez gardée ? Mais : « Si le Seigneur ne construit pas la cité, c’est en vain que veillent ceux qui ; la gardent [11] ». Si donc vous avez conservé la foi, c’est par le secours de Dieu ; c’est Dieu qui l’a conservée en vous, lui qui a dit à cet autre Apôtre martyrisé à Rome le même jour que vous : « J’ai prié pour toi, Pierre, pour que ta foi ne défaille point[12] ». Demandez donc, car la récompense est toute prête ; dites : « J’ai combattu le bon combat », c’est vrai ; « J’ai consommé ma course », c’est vrai ; « J’ai conservé la foi », c’est vrai ; il ne me reste plus qu’à attendre la couronne de justice que le Seigneur me rendra en sa qualité de souverain Juge[13] ». Exigez ce qui vous est dû. Votre couronne est toute prête ; mais souvenez-vous que vos mérites ne sont que des dons de Dieu.

  1. 1 Cor. 15, 10
  2. 2 Tim. 4, 7,8
  3. 1 Cor. 15, 9
  4. Id. 10
  5. 1 Cor. 15, 9
  6. Lc. 8, 45,47
  7. Ps. 17, 4
  8. 2 Tim. 4, 7
  9. 1 Cor. 15, 57
  10. Rom. 9, 16
  11. Ps. 126, 1
  12. Lc. 21, 32
  13. 2 Tim. 4, 7,8