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Mais il ne faut pas croire que Judas soit à louanger pour le bien que nous avons tiré de sa trahison, il n’a mérité que la condamnation due à un si grand crime. « Ils le conduisirent », nous raconte l’Évangéliste Jean, d’abord chez « Anne ». Et il nous en donne la raison. « Car », dit-il, « il était beau-père de Caïphe qui était le Pontife de cette année. « Caïphe », continue-t-il, « était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs : Il est utile qu’un seul homme meure pour tout le peuple ». Matthieu, qui a voulu raconter plus brièvement le fait, rapporte que Notre-Seigneur fut conduit vers Caïphe [1]. Car s’il fut conduit d’abord vers Anne, c’est qu’Anne était le beau-père de Caïphe ; de là nous devons conclure que Caïphe avait voulu qu’il en fût ainsi.
2. L’Évangéliste continue : « Or, Simon Pierre et un autre disciple suivaient Jésus ». Quel est cet autre disciple ? Le dire serait parler témérairement, puisqu’on ne nous l’apprend pas ; remarquez-le, néanmoins. C’est ainsi que Jean se désigne ordinairement lui-même en ajoutant « que Jésus l’aimait[2] ». Aussi, est-ce peut-être lui. Mais, quel qu’il soit, voyons ce qui suit : « Ce disciple était connu du grand prêtre, et il entra avec Jésus dans la cour du grand prêtre. Or, Pierre se tenait dehors à la porte. Mais cet autre disciple qui était connu du grand prêtre sortit, parla à la portière et fit entrer Pierre. Or, cette servante, la portière, dit à Pierre : Et toi, n’es-tu pas aussi des disciples de cet homme ? « Il lui répondit : Je n’en suis point ». Cette colonne qui se croyait si ferme, la voilà ébranlée jusque dans ses fondements par le moindre souffle du vent. Où est l’audace de cet homme qui promettait tant de choses et présumait si fort de lui-même ? Où sont ces paroles qu’il avait prononcées : « Pourquoi ne puis-je pas vous suivre maintenant ? je donnerai ma vie pour vous[3] ? » Nier qu’on soit le disciple de son maître, est-ce le suivre ? Donne-t-on sa vie pour son maître, quand, par crainte de mourir, on tremble à la voix d’une servante ? Mais faut-il nous étonner si les prédictions de Dieu sont infaillibles, et si les présomptions de l’homme sont trompeuses ? D’après ce que l’Évangile a commencé de nous dire du reniement de l’apôtre Pierre, nous devons le remarquer, on renie Jésus-Christ, non seulement en disant qu’il n’est pas le Christ, mais encore en soutenant qu’on n’est pas chrétien, quand on l’est. Notre-Seigneur n’a pas dit à Pierre Tu nieras que tu es mon disciple ; mais : « Tu me nieras [4] » ; il l’a donc nié lui-même, quand il a nié qu’il fût son disciple. Et en niant qu’il fût son disciple, qu’a-t-il nié, sinon qu’il fût chrétien ? Sans doute, les disciples de Jésus-Christ n’étaient pas encore appelés de ce nom ; ils ne furent pour la première fois appelés chrétiens, que quelque temps après. l’ascension, à Antioche[5]. Mais déjà existait le motif qui devait leur faire donner ce nom-là ; déjà existaient les disciples qui plus tard furent appelés chrétiens ; et ils ont transmis à leur postérité ce nom qui leur était commun, comme la foi qui leur était commune. Celui donc qui niait être disciple de Jésus-Christ, niait la chose que l’on désigne par le nom de chrétien. Dans la suite, combien de personnes se sont montrées capables de ce que n’a pu faire ce disciple qui tenait les clefs du royaume des cieux[6] ? Ici, je ne parle ni de vieillards ni de vieilles femmes à qui le dégoût de la vie a pu inspirer plus facilement le mépris de la mort endurée pour confesser Jésus-Christ ; je ne parle pas non plus de jeunes gens de l’un et de l’autre sexe, car on est en droit d’exiger de cet âge la force et le courage ; mais je parle de petits garçons et de petites filles, et de cette troupe innombrable de saints martyrs qui sont entrés par force et par violence dans le royaume des cieux. Aussi, quand Celui qui nous a rachetés de son sang se livra pour nous, il dit : « Laissez ceux-là s’en aller », afin que fût accomplie la parole qu’il avait dite : « Ceux que vous m’avez donnés, je n’en ai pas perdu un seul ». En effet, si Pierre était mort après avoir renié Jésus-Christ, n’aurait-il pas été perdu ?
3. « Les serviteurs et les ministres se tenaient auprès du feu, car il faisait froid, et ils se chauffaient ». On n’était pas en hiver, et cependant il faisait froid, comme il arrive d’ordinaire à l’équinoxe du printemps. « Or, Pierre était aussi avec eux et se chauffait. Le Pontife donc interrogea Jésus sur ses disciples et sur sa doctrine. Jésus lui répondit : J’ai publiquement parlé au monde, j’ai toujours enseigné dans la synagogue et

  1. Mt. 25, 57
  2. Jn. 13, 23 ; 19, 26
  3. Id. 13, 37
  4. Mt. 26, 34
  5. Act. 11, 26
  6. Mt. 16, 19