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effet, l’Église était alors aux yeux du monde un objet de mépris ; on faisait à cette veuve un reproche sanglant de ce qu’elle appartenait au Christ et portait au front le signe de la croix. On ne l’honorait pas encore, on l’accusait. En ce moment où les honneurs la fuyaient, où elle se voyait accablée de calomnies, s’éleva le monceau du témoignage, et par lui se répandit l’amour du Christ ; alors cet amour divin gagna tous les peuples. Le Prophète ajoute : « Manassé est à moi ». Manassé signifie oublié. Il avait été dit à l’Église « Tu oublieras à jamais ta confusion, et tu ne te souviendras plus de l’opprobre de ton veuvage ». L’Église était donc autrefois plongée dans une confusion qu’elle a depuis oubliée ; elle a perdu tout souvenir de la confusion et de l’opprobre où l’avait jetée son veuvage. Quand les hommes la méprisaient, on voyait s’élever en sa faveur un monceau de témoignages. Personne, aujourd’hui, ne se souvient qu’il fut un temps où elle était couverte de confusion, où c’était une honte de porter le nom de chrétien ; personne n’en a gardé la mémoire : tous l’ont oublié ; et désormais « Manassé est à moi. Et Ephraïm est la force et l’appui de ma tête ». Ephraïm veut dire, production de fruits. J’ai fructifié, dit l’Église, et par là j’ai trouvé la force et le soutien de ma tête. Car ma tête, c’est le Christ. Et d’où vient que la production des fruits est le principe de sa force ? c’est que si, en tombant dans la terre, le grain ne s’y multipliait pas, il resterait seul. Par sa mort, le Christ est tombé en terre, et par sa résurrection il a ensuite porté des fruits. « Et Ephraïm est la force et l’appui de ma tête ». Pendant qu’il était cloué à la croix, on le considérait avec mépris ; intérieurement c’était un grain qui avait la force d’attirer tout à lui[1]. L’œil n’aperçoit pas dans le grain de froment l’innombrable quantité de germes qui s’y trouvent renfermés ; il y voit seulement je ne sais quels dehors méprisables ; et toutefois le grain recèle une force telle qu’il s’assimile la sève de la terre pour en former des fruits. Ainsi apercevait-on l’infirmité de la chair sur la croix du Sauveur, sans y voir la force toute-puissante qu’elle recelait. O l’admirable grain de froment ! Sans doute il semblait à tous dépourvu de force pendant qu’il se mourait sur le bois de la croix ; le peuple qui l’environnait secouait la tête en passant devant lui et s’écriait : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende donc de sa croix[2] ! » Mais vois quelle était sa force : « Ce qui est faible en Dieu est plus fort que tous les hommes[3] ». Ce n’est donc pas sans raison qu’il a ensuite produit une si grande quantité de fruits ; ces fruits sont à moi, dit l’Église.
10. « Juda est mon roi : Moab est le vase de mon espérance ». « Juda est mon roi ». Qui est Juda, sinon celui qui est sorti de la tribu de Juda ? qui est Juda, sinon celui à qui Jacob a parlé ainsi : « Juda, tes frères prononceront tes louanges[4] ? » « Juda est mon roi » ; et quand Juda, mon roi, me dit : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps[5] », puis-je craindre quelque chose ? « Juda est mon roi : Moab est le vase de mon espérance ». Pourquoi « le vase ? » Parce que « le vase », environné de flammes, est le signe de la tribulation. Pourquoi « le vase de mon espérance ? » Parce que Juda, mon roi, a marché devant moi. Pourquoi craindre de le suivre partout où il a marché avant toi ? Dans quelle voie t’a-t-il précédé ? Dans la voie des tribulations, des angoisses et des opprobres. Cette voie douloureuse nous était interdite avant qu’il s’y engageât ; maintenant qu’il y a passé, suis-le ; depuis qu’il y a laissé la trace de ses pas, ce chemin est ouvert devant toi. « Je suis seul », dit-il, « mais seulement jusqu’à ce que je passe[6] ». Ce grain de froment est seul, mais seulement jusqu’à ce qu’il passe ; quand il sera passé, alors il produira des fruits. « Juda est mon roi », et parce qu’il « est mon roi, Moab est le vase de mon espérance ». Moab signifie la multitude des Gentils. La race des Moabites doit son origine à un crime, car elle descend des filles de Loth, qui, voyant leur père en état d’ivresse, abusèrent honteusement de lui et commirent avec lui le péché de la chair[7]. Il eût mieux valu pour elles rester stériles que de devenir mères à ce prix. Ces malheureuses préfiguraient ceux qui abusent de la loi. Que ce mot, loi, soit du féminin en latin ou du masculin en grec, peu importe, et nous ne devons pas nous en occuper, parce que masculin ou féminin, dans une langue ou dans l’autre, il ne saurait, par son genre, préjudicier à la vérité ; néanmoins, le caractère de la loi a quelque chose de mâle, puisqu’elle

  1. Isa. 54,4 ; Jn. 12,21-32
  2. Mt. 27,40
  3. 1 Cor. 1,25
  4. Gen. 49,8
  5. Mt. 10,28
  6. Ps. 140,10
  7. Gen. 19,31-38