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à ne point désespérer de leur propre pardon, quels que soient, d’ailleurs, le nombre et l’énormité de leurs crimes, puisqu’en s’avouant coupables, ils ont obtenu miséricorde et que l’indulgence divine s’est étendue même à l’assassinat commis par eux sur la personne du Christ. Voilà pourquoi le Psalmiste s’exprime ainsi : « Parce que, mon Dieu, vous avez bien voulu me recevoir, et que la miséricorde de Dieu me préviendra ». C’est-à-dire, avant aucune bonne action de ma part, sans aucun mérite, j’ai été prévenu par sa miséricorde. Quoiqu’il n’ait rien trouvé de bon en moi, il n’a pas laissé de me rendre bon ; il rend juste celui qui se convertit, et il avertit celui qui s’égare, de rentrer dans la voie droite. « Mon Dieu », ajoute le Prophète, « mon Dieu me l’a montré dans mes ennemis » ; c’est-à-dire, en me comparant avec mes ennemis, je vois combien il m’aime, combien de preuves de bonté il me donne ; car les vases de colère et les vases de miséricorde, sortant tous de la même masse, les premiers apprennent aux seconds quelle grâce ceux-ci ont reçue[1]. Nous lisons ensuite : « Ne les tuez pas, de peur qu’on oublie votre loi ». Ces paroles s’appliquent aux Juifs. Mais quel châtiment leur infligerez-vous ? « Dispersez-les dans votre puissance ». Montrez-leur que la force appartient à vous, et non à ceux qui mettent leur confiance en leur propre pouvoir, et qui méconnaissent votre éternelle vérité. Montrez-leur que si vous êtes fort, ce n’est point à la manière de ces forts dont il est écrit : « Les forts se sont jetés sur moi » ; mais que votre force vous donne le pouvoir de les disperser. « Et conduisez-les, Seigneur, qui êtes mon protecteur ». C’est-à-dire, dispersez-les, mais ne les abandonnez pas, « de peur qu’on oublie votre loi ». Et protégez-moi de telle sorte que leur dispersion me fournisse un témoignage de votre miséricordieuse bonté.
3. Le Psalmiste ajoute : « Perdez en eux les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ». Comment unir et lier à ce qui précède ce passage : « Perdez en eux les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ? » Nous ne voyons pas entre les paroles suivantes assez de liaison pour apercevoir le rapport qui existe entre ces paroles et celles qui précèdent. « Perdez en eux les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres, et qu’ils soient pris dans leur orgueil. Leur malédiction et leur mensonge produiront leur perfection dans la colère, qui perfectionne tout, et ils ne seront plus ». Je l’ai déjà dit hier ; ce passage est obscur voilà pourquoi j’ai voulu attendre, pour vous en donner l’explication, que vos esprits fussent reposés. Puisque vous n’êtes point encore fatigués de m’entendre, veuillez donc en ce moment élever vos cœurs, afin de m’aider par votre application ; par ses obscurités et ses embarras notre langage pourrait ne pas répondre à ce que vous attendez de moi ; aussi devez-vous apporter votre part de bonne volonté ; de la sorte, vous suppléerez, par votre promptitude à pénétrer le sens de mes paroles, à ce qui pourrait leur manquer de clarté. Ce verset se trouve donc au milieu du psaume, sans que nous puissions voir facilement sa liaison avec ce qui précède. « Perdez en eux les péchés de leur bouche, et les paroles de leurs lèvres ». Néanmoins, ayons recours aux versets précédents. Le Prophète avait dit : « Ne les tuez pas, de peur qu’on oublie votre loi » ; telle était sa prière en faveur d’hommes en qui il reconnaissait ses ennemis ; et il avait ajouté : « Perdez en eux les péchés de leur bouche, et les paroles de leurs lèvres ». C’est-à-dire, mettez fin à i leurs discours et non à leur existence : « Ne les tuez donc pas, de peur qu’on oublie votre loi ». Mais il y a en eux quelque chose que vous devez tuer, pour que l’on voie l’accomplissement de cette parole : « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent l’iniquité ; dispersez-les donc par votre puissance et conduisez-les », c’est-à-dire, ne les abandonnez pas, tout en les dispersant ; parce qu’en ne les abandonnant point, et en ne les tuant pas, vous avez encore quelque chose à faire en eux. Qu’y tuerez-vous donc ? « Les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ». Que tuerez-vous en eux ? Les cris qu’ils ont fait entendre : « Crucifie-le ! crucifie-le[2] ! » et non leur propre personne. Pour eux, ils ont voulu perdre, exterminer et anéantir le Christ ; et vous, en ressuscitant celui qu’ils ont voulu perdre, vous tuez « les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ». En effet, ils avaient crié qu’il fallait le mettre à mort, et ils s’aperçoivent avec étonnement qu’il vit encore ; ils l’ont méprisé

  1. Rom. 9,21
  2. Jn. 19,6