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que ce qu’il a bien voulu devenir pour nous racheter ? Certes, il est de ton devoir de ne pas négliger la considération de ses grandeurs ; c’est même une grande preuve de piété de ta part que d’apprendre à connaître Celui qui a tant souffert pour toi. Ce n’est pas un être vil et méprisable, c’est le premier de tous les êtres qui a souffert pour toi ; et toi, qui es-tu ? Un grand personnage ? Hélas, tu n’es qu’une faible créature ! Qu’a-t-il fait pour toi ? Il est devenu tout petit, car « il s’est humilié et s’est fait obéissant jusqu’à la mort ». Et qui était-il ? Ecoute : l’Écriture l’a dit avant de parler de ses humiliations : « Etant dans la forme de Dieu il n’a pas cru faire un larcin en se disant égal à Dieu » ; mais lui qui était semblable à Dieu « s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave et en se rendant semblable aux hommes[1] ». Il s’est anéanti de telle sorte qu’il a pris ce qu’il n’était pas, sans perdre néanmoins ce qu’il était. Mais comment s’est-il anéanti ? En ce qu’il s’est offert à tes regards dans cet état d’anéantissement ; en ce qu’il a dérobé à tes yeux la suprême grandeur qu’il possède en son Père ; en ce que, sur la terre, il ne te fait voir que son infirmité, se réservant de te rendre témoin de sa gloire quand tu seras entré, purifié de toute souillure, dans le ciel. Égal à son Père, il est devenu l’homme de douleurs, et pourtant, à travers le voile de sa faiblesse, nous devons voir en lui, avec les yeux de la foi, sinon avec ceux de la chair, le Fils de l’Eternel, et croire du moins ce que nous ne pouvons contempler face à face ; ainsi mériterons-nous de considérer à découvert ce que, par l’impuissance de nos organes, nous pouvons seulement croire aujourd’hui. Après sa résurrection il apparut à Marie-Madeleine et lui dit avec grande raison : « Ne me touche point, parce que je ne suis pas encore monté vers mon Père[2] ». Pourquoi parler ainsi, puisque peu après les saintes femmes le touchèrent ? Effectivement, au moment où elles venaient de quitter le tombeau pour retourner à Jérusalem, il se présenta devant elles, et aussitôt elles se prosternèrent à ses pieds pour l’adorer, et les embrassèrent[3]. Les disciples eux-mêmes furent admis à toucher ses plaies[4]. Quel sens dominer à ces paroles : « Ne me touche point, parce que je ne suis pas encore monté vers mon Père ? » Celui-ci, sans doute : Ne crois pas que je sois seulement ce que tu vois ; n’arrête donc pas tes regards à ce que tu touches. Tu me vois toujours dans la faiblesse, parce que je ne suis pas encore monté vers mon Père. Je suis descendu du ciel pour habiter parmi vous, mais je n’ai pas encore quitté la terre pour remonter auprès de mon Père, puisque je ne me suis pas encore séparé de vous. Il était descendu sur la terre sans quitter le ciel : il est remonté au ciel sans quitter la terre. Mais que signifie cette ascension du Sauveur vers son Père ? Elle signifie la connaissance que nous acquérons de son égalité avec son Père. Pour nous, nous montons, lorsque nous devenons plus parfaits et plus capables de voir, de comprendre et de saisir ce mystère. Il remit donc à un autre temps, pour Marie-Madeleine, la permission de le toucher, mais il ne la lui refusa pas pour toujours ; il ne lui en enleva pas l’espérance, il ne fit qu’en différer l’accomplissement. « Car », dit-il, « je ne suis pas encore monté vers mon Père. Il est sorti du plus haut des cieux ; on le rencontre au plus haut des cieux[5] ». Le plus haut des cieux, c’est-à-dire la plus relevée de toutes les choses spirituelles, c’est le Père ; voilà d’où le Fils est descendu, voilà où il est remonté, car il est remonté jusqu’au plus haut des cieux. S’il n’était égal à son Père, pourrait-il remonter jusque-là ? Enfin, lorsque nous comparons ensemble deux objets inégaux et que nous appliquons l’une contre l’autre deux mesures d’inégale grandeur, pour voir dans quel rapport elles sont entre elles, si leurs dimensions sont différentes, nous disons que ces deux objets, ces deux mesures, ne se rencontrent pas si, au contraire, leurs dimensions se trouvent être pareilles, nous disons qu’ils se rencontrent. Donc, parce que le Fils est égal à son Père, « sa rencontre est au plus haut des cieux ». Tel il voulait se faire connaître de ses serviteurs fidèles, quand il disait : « Ne me touche pas ». Il voulait obtenir cette grâce de la part de son Père en leur faveur, en lui adressant cette prière : « Levez-vous, venez à ma rencontre et voyez ». Faites connaître que je vous suis égal. Jusques à quand Philippe me dira-t-il : « Montrez-nous votre Père, et cela nous suffit ? » Jusques à quand lui répondrai-je : « Je suis avec vous depuis si

  1. Phil. 2,6-8
  2. Jn. 20,17
  3. Mt. 28,9
  4. Lc. 24,39
  5. Ps. 18,7