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est déjà une grande peine. Mais quelle en a été la cause ? « Ils disaient qu’ils étaient sages, et ils sont devenus fous[1] ». Ils disaient tenir d’eux-mêmes ce qu’ils avaient reçu de Dieu ; et s’ils.ont reconnu la source divine où ifs l’ont puisé, ils n’ont pas glorifié celui qu’ils avaient reconnu comme l’auteur de leurs lumières ; c’est-à-dire, « ils disaient qu’ils étaient sages ». Le Prophète indique immédiatement après quelle a été leur punition. « Ils sont devenus fous, et leur cœur dépourvu d’intelligence a été rempli de ténèbres. Ils disaient qu’ils étaient sages, et ils « sont devenus fous ». Est-ce là une punition de minime importance ? Pour ne parler que de celle-là, peut-on dire que l’obscurcissement du cœur, l’aveuglement de l’esprit doivent être considérés comme peu de chose ? Si un homme avait perdu un œil au moment même où il se rendait coupable d’un vol, tous seraient unanimes à dire que Dieu était là pour le punir. Le pécheur a perdu l’œil de son cœur, et l’on s’imaginerait que Dieu l’a épargné ? « Ils disparaîtront comme la cire qui se fond ».
19. « Un feu est tombé sur eux, et ils n’ont point vu le soleil ». Vous voyez comment le Prophète explique la peine de l’aveuglement de l’esprit. « Un feu est tombé », c’est le feu de l’orgueil terni par la fumée ; c’est le feu de la concupiscence, c’est le feu de la colère. Quel feu ! celai qui en est atteint ne voit pas le soleil. C’est pourquoi il a été dit : « Que le soleil ne se couche point sur votre colère[2] ». Aussi, mes frères, redoutez les ardeurs d’une coupable concupiscence, si vous voulez ne pas fondre comme de la cire et disparaître de devant la face de Dieu, Car si ce feu des passions vient à tomber sur vous, il vous sera désormais impossible de voir le soleil. Quel est ce soleil ? Ce n’est point celui dont les rayons frappent les regards des bêtes et des mouches aussi bien que les vôtres ; ce n’est pas celui que contemplent également les bons et les méchants, et que Dieu fait lever sur les hommes vertueux et sur les pécheurs[3]. Il est un autre soleil, et c’est de lui que les pécheurs parleront quand ils diront : « Le soleil ne s’est point levé sur nous ; toutes ces choses ont passé comme l’ombre. Nous nous sommes donc écartés de la voie de la vérité ; la lumière de la justice n’a pas lui sur nous, et le soleil ne s’est point levé sur nous ». Pourquoi ? « Parce qu’un feu est tombé sur eux et qu’ils n’ont pas vu le soleil[4] ». La concupiscence de la chair les a vaincus ; mais d’où leur est venue cette concupiscence ? Remarquez-le bien. Tu es venu en ce monde, apportant avec toi, comme un héritage, l’ennemi que tu dois vaincre ; c’est déjà assez pour toi d’en triompher, sans que tu lui en adjoignes d’autres. La lice de cette vie s’est ouverte pour toi et pour lui en même temps ; engage donc le combat avec cet ennemi qui t’accompagnait à ton entrée dans le champ de bataille. Tu n’as pas encore remporté sur lui la victoire ; pourquoi donc provoquer au combat une multitude de passions ? De fait, mes frères, l’homme naît avec la concupiscence de la chair ; mais s’il est bien formé à la lutte, il distingue bien vite son ennemi, il fond sur lui et l’attaque, et son triomphe ne se fait pas longtemps attendre ; avant l’arrivée d’autres adversaires, il peut aisément vaincre. Mais si l’on néglige d’en finir avec cette concupiscence qu’on a apportée avec soi en ce monde comme perpétuel effet du péché, si l’on fait naître et qu’on excite beaucoup d’autres passions, il est sûr qu’on éprouvera à les surmonter d’énormes difficultés, et qu’on sera consumé par elles comme par un feu intérieur, parce que les forces, se trouvant partagées, ne peuvent plus être d’aucune utilité. Ne t’imagine donc pas que les peines de l’avenir soient les seules que tu aies à redouter ; vois celles qui t’attendent pour le présent. « Un feu est tombé sur eux, et ils n’ont pas vu le soleil ».
20. « Avant que le nerprun produise ses u épines, Dieu les dévorera comme s’ils étaient vivants, comme dans sa colère[5] ». Qu’est-ce que le nerprun ? C’est une espèce d’épines toute particulière : ce sont des épines très épaisses. Le nerprun n’est d’abord que de l’herbe : alors il est tendre et beau ; mais plus tard il se transforme en épines. Les péchés ne semblent maintenant procurer que des plaisirs, ils ne font pas encore sentir d’épines. Le nerprun n’est que de l’herbe, on n’y trouve rien qui blesse. « Avant que le nerprun produise des épines » ; avant que ces malheureux plaisirs et ces voluptés déplorables donnent lieu à des tourments certains. Vous qui aimez ardemment une chose et qui ne parvenez point à en

  1. Rom. 1,21-29
  2. Eph. 4,26
  3. Mt. 5,45
  4. Sag. 5,6-9
  5. Ps. 57,10