Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/629

Cette page n’a pas encore été corrigée

vérité le porta à ressusciter encore pour lui. « Il a envoyé du ciel sa miséricorde et sa vérité, et il a arraché mon âme du milieu des jeunes lionceaux ». Qu’était-ce que ces jeunes lionceaux ? C’était ce peuple dégradé, indignement trompé et séduit par les princes des prêtres : les lions, les jeunes lionceaux n’étaient autre que ces mêmes princes. Tous ont frémi : tous ont mis le Christ à mort. La suite de ce psaume va nous apprendre leur triste fin.
11. « Et il a arraché mon âme du milieu des jeunes lionceaux ». Pourquoi dis-tu : « Et il a arraché mon âme ? » À quelles épreuves ton âme avait-elle été soumise pour en être arrachée ? « J’ai dormi dans le trouble ». Par ces paroles, Jésus-Christ marque sa mort. À la vérité, nous lisons que David s’est réfugié dans une caverne, mais le texte sacré ne nous dit pas qu’il y ait dormi. Autre est ce David qui s’est caché dans une caverne ; autre est ce David qui a dit : « J’ai dormi dans le trouble ». L’Évangile nous parle de ce trouble, qui venait non de lui-même, mais de ceux qui le tourmentaient. Il dit qu’il a été troublé, moins pour exprimer l’état d’une âme qui ne tremblait réellement pas, que pour faire connaître les pensées de ses ennemis à son égard. Ils s’imaginaient l’avoir troublé et vaincu ; mais, quoique dans le trouble, il dormait. Au milieu du trouble il était si calme qu’il dormait à son gré. Quand on est agité, on ne dort pas : aussi, tous ceux qui éprouvent du tourment se réveillent-ils bientôt, ou se trouvent-ils dans l’impossibilité absolue de se livrer au sommeil. Pour Jésus, il fut troublé, et néanmoins il dormit. Humilité infinie d’un Dieu, qui veut bien se laisser ainsi troubler ! puissance plus grande encore de celui qui est capable de dormir dans un pareil trouble ! D’où lui venait ce pouvoir de dormir ? Il le dit lui-même : « J’ai le pouvoir de donner mon âme, et j’ai celui de la reprendre ; personne ne me la ravit malgré moi : c’est moi – même qui la donne et qui la reprends ensuite[1] ». Ses ennemis le troublaient, et lui dormait. Adam préfigurait le Christ quand Dieu lui envoya un sommeil pour tirer de son côté la première femme[2]. Dieu ne pouvait-il pas tirer du côté du premier homme la femme qu’il lui destinait, sans avoir besoin de l’endormir ? Ou bien voulut-il qu’Adam fût plongé dans le sommeil, pour ne point lui laisser sentir qu’il lui enlevait une côte ? Enfin, quel est l’homme assez profondément endormi pour ne pas s’éveiller au moment où l’un de ses os se brise ? Celui qui a pu enlever une côte à un homme endormi sans lui faire éprouver aucune douleur, aurait certainement pu agir de même à l’égard d’un homme éveillé. Mais pourquoi Dieu at-il voulu envoyer un sommeil à Adam, pour le moment où il devait lui prendre une de ses côtes ? Parce qu’au moment où le Christ dormait sur l’arbre de la croix, une Épouse a été tirée pour lui de son côté ; pendant qu’il était attaché à la croix, on lui perça le côté avec une lance[3], et de cette plaie découlèrent les sacrements de l’Église. « J’ai dormi dans le trouble ». Dans un autre psaume il s’exprime clairement à cet égard : « Je me suis endormi », dit-il, « et j’ai pris du repos ». Il marque bien ici sa puissance, car il aurait pu se borner à dire, comme il vient de le faire : « Je me suis endormi ». Quel est donc le sens de ces paroles : « Je me suis endormi », sinon : « Je me suis endormi », parce que je l’ai bien voulu. Ce né sont point mes ennemis qui m’ont forcé à dormir contre mon gré : je me suis laissé aller au sommeil, parce que tel a été mon bon plaisir : car « j’ai le pouvoir de donner mon âme et j’ai celui de la reprendre » ; c’est pourquoi il ajoute : « Je me suis endormi et j’ai pris du repos, et je me suis éveillé, parce que le Seigneur m’a pris sous sa garde[4] ».J’ai dormi dans le « trouble ». D’où lui venait ce trouble ? Qui est-ce qui le tourmentait ? Voyons en quels termes il reproche le mauvais état de leur conscience aux Juifs qui cherchaient à s’excuser de la mort du Christ. Suivant le récit de l’Évangile, ils le traduisirent au tribunal du gouverneur romain, pour ne pas être accusés de l’avoir condamné à mort. Aussi, quand Pilate leur eut dit : « Prenez cet homme, et jugez-le vous-mêmes selon votre loi », répondirent-ils : « Il ne nous est permis de faire mourir personne[5] ». une leur était pas permis de mettre à mort le Christ ; leur était-il plus permis de le traîner aux pieds d’un juge, pour le faire condamner au dernier supplice ? Qui est-ce qui s’est rendu coupable de déicide ? Est-ce celui qui a cédé devant les clameurs d’un peuple en déliré ?

  1. Jn. 10,18
  2. Gen. 2,21
  3. Jn. 19,31
  4. Ps. 3,6
  5. Jn. 18,31