Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/619

Cette page n’a pas encore été corrigée

« de l’enfer ne la vaincront pas, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ». Voyez quelle récompense il accorde à cette confession pleine de vérité, de dévouement et de foi : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». Dès que le Sauveur parla de sa passion à ses disciples, Pierre eut peur de le voir mourir ; toutefois, sa mort était la condition essentielle de notre salut ; il s’écria donc : « Non, Seigneur, il n’en sera pas ainsi ». Et Jésus, qui lui avait dit, quelques instants auparavant : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église », lui répondit alors : « Arrière, Satan, arrière : tu es pour moi un scandale ». Comment l’homme que l’on avait appelé Pierre, et proclamé bienheureux, est-il devenu si vite digne de recevoir le surnom de Satan ? « Parce que », ajouta le Sauveur, « tu n’as point de goût pour les choses de Dieu : tu n’en as que pour les choses de l’homme[1] ». Quelques instants plus tôt il goûtait les choses de Dieu, « car ni la chair ni le sang ne t’ont révélé cela, mais mon Père, qui est dans le ciel ». Quand il louait ses paroles en Dieu, on ne l’appelait que du nom de Pierre : il mérita celui de Satan, dès qu’il parla de lui-même, sous l’influence de la faiblesse de l’homme et d’une affection charnelle, parce qu’ainsi il mettait obstacle à son salut personnel et à celui des autres. Il voulut avoir le pas sur le divin Maître, et donner au guide céleste des conseils inspirés par une sagesse tout humaine. « Non, Seigneur, il n’en sera pas ainsi ». Tu dis : « Non », et tu ajoutes : « Seigneur ? » S’il est le Seigneur, n’agit-il pas avec une souveraine puissance ? S’il est le maître, ne sait-il pas ce qu’il doit faire, ce qu’il doit enseigner ? Néanmoins, tu prétends conduire ton guide, instruire ton maître, donner des ordres à ton Seigneur, dicter à Dieu tes volontés. Tu veux primer le Très-Haut ! « Arrière ! » Un souhait plus utile à ses ennemis pouvait-il sortir de la bouche du Prophète : « Que mes ennemis retournent en s arrière ? » mais qu’ils ne restent pas derrière. Qu’ils retournent en arrière, afin de ne plus marcher les premiers, mais de manière à marcher toujours et à ne pas rester derrière. « Que mes ennemis retournent en arrière ».
16. « Quel que soit le jour où je vous invoque, je sais que vous êtes mon Dieu ». Admirable science ! Le Prophète ne dit pas : Je sais que vous êtes Dieu ; il dit : « Je sais que vous êtes mon Dieu ! » Oui, il est ton Dieu, car il te vient en aide. Oui, il est ton Dieu, car tu lui appartiens. Voilà pourquoi il est écrit : « Bienheureux est le peuple qui a pour Dieu le Seigneur ! » Pourquoi est-il dit : « Qui a pour Dieu le Seigneur ? » Où est l’homme dont il ne soit pas le Dieu ? Il est le Dieu de tous, mais particulièrement de ceux qui l’aiment, qui s’attachent à lui, qui le possèdent et l’adorent ; ils font, en quelque sorte, partie de sa maison ; ils sont comme les membres de sa grande famille, puisqu’ils ont été rachetés au prix du sang de son Fils unique. O ineffable bonté de Dieu ! Nous lui appartenons, et il est devenu notre héritage ! Les étrangers, qui ont été éloignés des justes, ne sont pour lui que des enfants dont il ne s’occupe pas. Voyez ce qu’en dit ailleurs le Psalmiste : « Mon Dieu, délivrez-moi de la puissance des enfants étrangers, dont la « bouche a publié la vanité, et dont la droite est une droite d’injustice ». Remarque leur grandeur : grandeur d’un jour ! gloire orgueilleuse et éphémère ! « Leurs enfants ressemblent à des plantes nouvelles : leurs filles sont ornées comme un temple ». Il donne la description du bonheur de ce monde, de ce bonheur dont les apparences trompeuses séduisent l’homme, auquel on attache le plus grand prix, que l’on préfère à la véritable, à l’éternelle félicité. Ceux qui négligent les biens durables, deviennent par là même des enfants étrangers : ce ne sont plus des enfants de Dieu. Le Prophète continue « Leurs fils ressemblent à des plantes nouvelles leurs filles sont ornées comme des temples leurs celliers sont remplis ; ils regorgent et se déversent l’un dans l’autre : leurs brebis sont fécondes et de produits abondants : leurs vaches sont grasses : la clôture de leurs héritages n’est ni brisée ni ouverte à tout venant : on n’entend aucun cri dans leurs places publiques ». Que lisons-nous ensuite ? « Ils ont proclamé bienheureux le peuple qui possède de tels avantages ». Mais qui est-ce qui tient ce langage ? des enfants étrangers, « dont la bouche publie la vanité ». Et toi, que dis-tu ? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur[2] ». Il n’envisage aucun des bienfaits

  1. Mt. 16,16-23
  2. Ps. 143,11-15