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comprendre de quels maux nous sommes accablés en cette vie, de quels maux nous désirons être délivrés, quand, à la fin de l’Oraison dominicale, nous disons : « Seigneur, délivrez-nous du mal[1] ». Par un effet de cette intelligence, le Psalmiste déplore ici quelqu’une des nombreuses tribulations dont nous sommes accablés peu dans le cours de notre vie. Pour celui qui n’a point cette intelligence, il ne joint par ses gémissements à ceux du Psalmiste. Nous devons nous le rappeler, nos très-chers frères, si nous avons, comme créatures, des traits de ressemblance avec Dieu, c’est uniquement par notre intelligence. Nous sommes en effet, sous une multitude de rapports, inférieurs aux animaux ; mais ce qui donne à l’homme de la ressemblance avec Dieu, c’est précisément ce qui établit une différence marquée entre lui et les bêtes. De toutes les facultés qu’il a reçues de la munificence divine, la raison seule le distingue des brutes. Ce don, qui nous est propre et particulier, ce don de l’intelligence, que nous tenons de la bonté du Créateur, plusieurs le méprisent : aussi le Seigneur leur fait-il un reproche sévère de leur conduite : « Ne vous rendez point », leur dit-il, « semblables au chevalet au mulet, qui sont privés d’intelligence[2] ». « L’homme », ajoute-t-il ailleurs, « avait été élevé en dignité ». Quelle était cette dignité, sinon sa ressemblance avec Dieu ? « L’homme », donc, « avait été élevé en dignité, et il ne l’a pas compris : on l’a comparé aux bêtes dépourvues de raison, et il leur est devenu semblable[3] ». Comprenons bien à quel degré d’honneur nous avons été élevés : ayons intelligence. Si nous avons l’intelligence, il nous est facile de voir que notre demeure d’ici-bas n’est pas le séjour de la joie, mais qu’elle est celui des gémissements : le moment de tressaillir d’allégresse n’est pas encore venu : nous sommes encore condamnés à nous plaindre. Et si la joie habite déjà dans les cœurs, elle est occasionnée par l’espérance, et non par la possession de l’objet que nous désirons. Les promesses divines nous réjouissent, car celui qui nous les a faites n’est point trompeur. Mais, quant au temps présent, apprenez de quels maux, de quelles sollicitudes nous y sommes accablés ; et, si vous êtes dans la bonne voie, remarquez bien que mes paroles s’appliquent à vous-mêmes. Pour celui qui n’est pas encore engagé dans le chemin de la vertu, il s’étonne de voir ces membres de David condamnés à de telles épreuves, parce qu’il ne s’y voit pas exposé. Et, tant qu’il ne ressent point de pareils maux, il n’est point du nombre des membres du Christ ; ce qu’éprouve le corps du Christ, il ne l’éprouve pas, parce qu’il n’en fait pas partie : qu’il y entre, et il verra par sa propre expérience quels sont ces maux. Que le Prophète parle donc ; écoutons-le, et disons avec lui :
4. « Mon Dieu, écoutez ma prière et ne méprisez pas ma demande : soyez attentifs à me secourir et exaucez-moi[4] ». Ces paroles sont celles d’un homme affligé, accablé d’ennuis et de tribulations. Livré à une épreuve pénible, brûlé du désir d’en être délivré, il a recours à la prière. Il nous reste maintenant à apprendre en quels maux il se trouve plongé ; et, quand il nous l’aura dit, nous devrons reconnaître que nous avons parts à son affliction : unis dans la souffrance, nous le serons aussi dans la prière. « Je suis affligé dans mon exercice, et je suis troublé ». Affligé, troublé, en quoi ? « Dans mon exercice » Il va parler des méchants qui le font souffrir et des épreuves qu’ils lui font subir : voilà son exercice. Ne vous imaginez point que les méchants sont inutiles en ce monde, et que Dieu ne les emploie pas à opérer le bien. Il accorde la vie aux méchants, soit pour leur donner le temps de se convertir, soit afin de les faire servir à éprouver les bons. Puissent ceux qui nous persécutent aujourd’hui, revenir au bien et partager nos épreuves : néanmoins, aussi longtemps qu’ils nous tourmentent, puissions-nous à notre tour ne pas les prendre en haine ! En effet, de ce qu’ils sont aujourd’hui dans la mauvaise voie, il nous est impossible de conclure que, plus tard, ils ne se convertiront pas : bien souvent il arrive que, au lieu de haïr un ennemi comme tu le crois, tu détestes sans le savoir un de tes frères. Les saintes Écritures nous l’attestent : le démon et ses anges sont condamnés au feu éternel : eux seuls ne nous laissent aucun espoir de les voir revenir au bien : nous avons à soutenir contre eux une lutte invisible, et c’est à cette lutte que l’Apôtre veut nous préparer, quand il nous dit : « Nous n’avons pas à combattre contre la

  1. Mt. 6,13
  2. Ps. 31,9
  3. Id. 58,21
  4. Ps. 54,2