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malheureux ? Te seraient-elles plus profitables ? Des pauvres nombreux ont trouvé leur sécurité à rester inconnus ; à peine étaient-ils devenus riches, à peine avaient-ils brillé aux regards du monde, que déjà des hommes, plus puissants qu’eux, en faisaient leur victime et leur proie, S’ils avaient compris le réel avantage de demeurer dans la solitude et l’oubli du monde, ils ne se seraient point trouvés exposés aux dangereuses convoitises de gens qui les recherchaient, non pour ce qu’ils étaient, mais pour ce qu’ils possédaient. En fait de biens temporels, nous vous avertissons et nous vous prions dans le Seigneur de ne rien demander en particulier, mais d’attendre de la bonté de Dieu ce qu’il sait vous être utile. Car vous ignorez absolument ce qui vous convient le mieux. Ce qui vous plairait davantage vous serait souvent nuisible, et vous trouverez parfois votre profit en ce qui vous sourit le moins. Vous êtes malades ; ne prescrivez pas vous-mêmes au médecin les remèdes qu’il doit vous appliquer. Le docteur des nations, l’apôtre saint Paul lui-même a dit : « Nous ne savons ce que nous devons demander »[1]. À plus forte raison l’ignorons-nous nous-mêmes. Il lui semblait qu’il priait d’une manière convenable, quand il conjurait le Seigneur de lui ôter l’aiguillon de la chair, cet ange à qui Dieu avait permis de le souffleter, afin qu’il ne pût s’enorgueillir de la grandeur de ses révélations. Comment le Tout-Puissant répondit-il à sa prière ? Lui accorda-t-il ce qu’il demandait ? Non ; il ne fit que ce qui était le plus avantageux pour l’Apôtre. Voici sa réponse : « J’ai prié par trois fois le Seigneur de l’éloigner de moi, et il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car l’infirmité sert à perfectionner la vertu[2] ».J’ai appliqué le remède sur le mal : je sais quand je l’ai appliqué, c’est à moi de savoir quand il faudra l’ôter. Le malade ne doit ni se retirer d’entre les mains du médecin, ni lui donner des conseils. Ainsi faut-il raisonner et agir dans toutes les circonstances de la vie. Les tribulations t’accablent ? si tu sers bien Dieu, tu te rappelleras qu’il sait ce qui convient à chacun. Tu nages dans les eaux de la prospérité ? prends surtout soin qu’elle ne gâte pas ton cœur, et ne t’éloigne pas de celui qui t’a rendu heureux. David, comprenant ces choses, dit à Dieu : « Seigneur, écoutez ma prière : rendez-vous attentif aux paroles de ma bouche ».
6. « Car les étrangers se sont élevés contre moi[3] ». Quels étrangers ? Est-ce que David n’était pas juif, et de la tribu de Juda ? Ziph appartenait à la même tribu et à la même nation. Comment les Ziphéens pouvaient-ils être des étrangers ? Par rapport au pays, à la tribu, à la parenté, ils ne l’étaient pas ; mais ils l’étaient quant à l’éclat. En veux-tu la preuve ? Dans un autre psaume, on désigne sous le nom d’enfants étrangers « ceux dont la bouche est remplie de paroles vaines, et dont la droite est une droite d’iniquité ». Le Psalmiste rend ensuite compte de l’éclat des Ziphéens. « Dans leur jeunesse, leurs enfants sont comme de nouveaux plants d’arbres ; leurs filles sont ornées et parées comme un temple ; leurs celliers sont pleins et regorgent de l’un dans l’autre ; leurs brebis sont fécondes et fertiles ; leurs vaches sont grasses ; il n’y a dans leurs haies ni passage, ni lacune, et l’on n’entend aucun cri dans leurs places publiques ». Voilà bien les Ziphéens : voilà bien ceux qui brillent pour un temps. « Ils ont proclamé bienheureux le peuple qui possède toutes ces choses ». N’est-ce point à juste titre qu’on leur donne le nom d’étrangers ? Et toi, qui es caché au milieu des Ziphéens, que dis-tu ? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur[4] ». C’est cette pensée qui a dicté et porté vers le trône de l’Eternel la prière du Prophète : « O Dieu, rendez-vous attentif à ma voix, parce que les étrangers se sont élevés contre moi, et que les puissants ont cherché mon âme ».
7. Mes frères, tous ceux qui bornent leurs espérances à ce bas monde, travaillent d’une nouvelle manière à la perte des saints qui ne partagent point leurs folles illusions. Maintenant, rien ne les sépare les uns des autres : ils vivent tous ensemble, mais ils sont singulièrement opposés les uns aux autres : ceux-ci ne recherchent que les biens temporels et les joies fugitives de la terre ; ceux-là placent leur plus ferme espérance dans le Seigneur Dieu. Les Ziphéens semblent être d’accord avec toi, mais ne te fie pas trop à leurs pacifiques apparences : le temps de se montrer tels qu’ils sont réellement n’est pas venu : qu’une occasion se présente, qu’on blâme quelqu’un d’entre eux de son éclat

  1. Rom. 8,26
  2. 2 Cor. 12,7-9
  3. Ps. 53,5
  4. Id. 143,7-15