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qu’on a lues tout à l’heure : « Que sert-il à l’homme de gagner tout le monde entier, s’il vient à perdre son âme[1] ? » que peut faire le rasoir de Doëch à un homme qui pense ici-bas au royaume des cieux, et qui doit plus tard y demeurer, à un homme qui possède Dieu en lui-même et qui doit être éternellement uni avec Dieu ? Encore une fois, que peut lui faire ce rasoir ? Il lui rasera les cheveux ; il le rendra chauve. Telle a été la destinée du Christ, puisqu’il a été crucifié au sommet du Calvaire. Il en fait un enfant de Coré, qui veut dire Chauve. Par cheveux on entend les choses superflues d’ici-bas ; non point que Dieu ait fait des cheveux un ornement inutile du corps humain, mais comme on peut les couper sans faire souffrir la personne à laquelle on les coupe, ceux qui s’attachent cordialement à Dieu considèrent les biens de la terre du même œil que s’ils étaient des cheveux. Parfois néanmoins tu dois te servir de ces cheveux pour opérer le bien ; par exemple, partager ton pain avec celui que la faim tourmente, recevoir en ta maison l’indigent dépourvu d’un toit protecteur, vêtir le malheureux que tu vois condamné à la nudité. Les martyrs qui ont répandu leur sang pour l’Église à l’imitation du Seigneur et entendu celte parole : « Comme le Christ a donné son urne pour nous, nous devons aussi la donner pour nos frères[2] », les martyrs se sont en quelque façon servis de leurs cheveux pour nous faire du bien ; ils se sont dépouillés en notre faveur de ce que le rasoir de Doëch peut nous ôter d’une manière plus ou moins absolue. Que l’on puisse faire du bien à l’aide de ces cheveux, la femme pécheresse nous en a donné la preuve : prosternée aux pieds du Seigneur elle avait amèrement pleuré ; après les avoir arrosés de ses larmes, elle les essuya avec ses cheveux. Quelle leçon devons-nous tirer delà ? c’est qu’en usant de miséricorde à l’égard d’autrui, tu dois encore lui venir en aide, si tu le peux. Lorsque tu prends pitié de lui, tu sembles verser sur lui des larmes ; tu les essuies avec tes cheveux, quand tu lui procures ton secours. Si telle doit être notre conduite envers tous les hommes, à plus forte raison devons-nous agir de la sorte dès qu’il est question des pieds du Seigneur. Or, quels sont-ils ? Ce sont les saints prédicateurs de l’Évangile dont il est écrit : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, de ceux qui annoncent les biens[3] ! » Que Doëch aiguise donc sa langue comme un rasoir, que ses machinations deviennent plus ténébreuses encore, qu’il emploie à les ourdir toute sa malice ; il nous enlèvera toutes les superfluités de cette vie passagère, mais pourra-t-il nous arracher les biens nécessaires qui subsisteront éternellement ?
10. « Tu as préféré la malice à la bonté ». Tu avais devant toi la bonté, n’aurais-tu point dû l’aimer ? Il n’aurait fallu ni dépense, ni lointaine navigation pour la posséder ; devant toi se trouvent la bonté et la méchanceté ; compare-les et choisis ; mais peut-être as-tu un œil pour voir la méchanceté et n’en as-tu pas pour voir la bonté. Malheur au cœur méchant ! Le pire est qu’il se détourne pour ne point voir ce qui frappe ses regards. C’est bien de telles gens qu’il a été écrit : « Il n’a pas voulu avoir l’intelligence pour faire le bien » Nous ne pouvons croire qu’il n’ait pu, car il est dit : « Il n’a pas voulu avoir l’intelligence pour faire le bien ». Il a fermé les yeux à la lumière qu’il avait devant lui. Nous lisons ensuite : « Il s’est livré à des pensées iniques, jusque sur son lit[4] », c’est-à-dire, dans le plus profond secret de son cœur. Voilà ce que le Psalmiste reproche à cet Iduméen Doëch, à cet ensemble d’hommes méchants, sans cesse agités d’un mouvement terrestre, passager et non céleste. « Tu as préféré la malice à la bonté ». Veux-tu être assuré que le méchant voit distinctement l’une et l’autre, qu’il se détourne de l’une et choisit l’autre ? Voici la preuve. Pourquoi se plaint-il, lorsqu’il est victime de quelque injustice ? Pourquoi exagère-t-il autant que possible le mal dont il soutire, et fait-il l’éloge de la bonté ? Pourquoi blâme-t-il son persécuteur d’avoir préféré pour lui le mal au bien ? Qu’il soit donc à lui-même sa – propre règle de vie, c’est d’après lui-même qu’il sera jugé, s’il fait ce qui est écrit : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même[5] » ; et : « Faites aux autres le « bien que vous voulez qu’ils vous fassent[6] ». Il trouve dans le fond de son cœur la connaissance de ce principe : il ne faut point faire à autrui ce que nous ne voudrions point qui nous fût fait à nous-mêmes. « Tu as préféré la malice à la bonté » ; homme injuste, déréglé

  1. Mt. 16,26
  2. Jn. 3,16
  3. Isa. 52,7 ; Rom. 10,15
  4. Ps. 35,4-5
  5. Mt. 22,39
  6. Id. 7,12