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dans votre charité, vous ne venez en si gram nombre aujourd’hui, qu’afin de prier pour ceux qu’éloigne d’ici une folle et malheureuse passion. Nous ne parlons en effet ni des païens, ni des juifs, mais bien des chrétiens ; non de ceux qui sont encore catéchumènes, mais de plusieurs qui sont baptisés, dont vous n’êtes nullement éloignés par le baptême, mais à qui vous êtes loin de ressembler par le cœur. Combien de frères ne devons-nous pas pleurer aujourd’hui, à la pensée qu’ils courent après la vanité et les folies du mensonge[1], et négligent d’aller où ils sont appelés ! Qu’un accident quelconque les effraie au milieu du cirque, ils feront le signe de la croix ; ils se tiendront là, marquant leur front d’un signe qui devrait les en éloigner, s’il était dans leur cœur. Demandons à Dieu que, dans sa miséricorde, il leur donne la lumière qui condamne ces folies, l’amour qui les fuit, le pardon qui les oublie. Il est donc heureux pour nous que nous ayons chanté aujourd’hui un psaume de la pénitence. Parlons même aux absents, votre mémoire sera pour eux notre voix. Ne négligez ni ceux qui souffrent, ni ceux qui languissent ; mais, afin de les guérir plus facilement, conservez vous-mêmes votre santé. Que vos réprimandes les corrigent, que vos discours les consolent, que la sainteté de votre vie leur serve de modèle, et celui qui vous a pris en pitié aura aussi pitié d’eux. Car en vous retirant de si grands dangers, la bonté du Seigneur n’a pas été épuisée. Ils viendront par le chemin que vous avez pris, ils passeront où vous avez passé. Leur état est fâcheux, j’en conviens ; il est périlleux, ils courent à leur perte, à une mort certaine, puisqu’ils connaissent le mal qu’ils font. Il y a une différence, en effet, entre courir à ces folies quand on méprise la parole du Christ, et y courir quand on sait ce qu’il faut éviter. Mais notre psaume nous apprend à ne pas désespérer même de ceux qui en sont là.
2. En voici le titre : « Psaume à David, lorsque le prophète Nathan vint le trouver, après son adultère avec Bethsabée »[2] ; car Bethsabée était femme et Épouse d’un autre homme. Nous ne le disons qu’avec douleur et en tremblant ; et pourtant ce n’est point pour qu’on en garde le silence, que le Seigneur l’a fait consigner dans l’histoire. J’en parlerai donc, non de plein gré, mais parce que j’y suis contraint, et j’en parlerai non comme d’un modèle à imiter, mais comme d’un motif de crainte. David, roi et prophète, qui devait être selon la chair l’aïeul du Seigneur[3], s’éprit de la beauté de cette femme étrangère, et commit un adultère avec elle. Les psaumes n’en disent rien, mais le titre nous l’indique, et nous le lisons plus à découvert dans le livre des Rois. Ces deux ouvrages sont canoniques, et tout chrétien doit y croire sans hésiter. Le crime fut commis et ensuite consigné dans l’Écriture. David fit même tuer à la guerre le mari de cette femme ; à l’adultère il joignit le meurtre : et après ce crime le prophète Nathan lui fut envoyé, et envoyé par le Seigneur, pour lui reprocher un si grand forfait[4].
3. Voilà ce que les hommes doivent éviter ; écoutons ce qu’ils doivent imiter, s’il leur arrive de tomber. Plusieurs, en effet, veulent bien tomber comme David, mais non se relever avec lui. Ce n’est donc point lorsqu’il tombe, mais bien quand il se relève qu’il devient ton modèle, si tu es tombé. Veille donc à ne point tomber. Que la chute des grands ne soit point un sujet de joie pour les petits, mais que les petits craignent en voyant tomber les grands. Tel est le but de cette histoire, c’est pour cela qu’elle est écrite, pour cela que l’Église fait souvent lire et souvent chanter ce psaume. Que les hommes qui ne sont point tombés l’écoutent, afin de ne point tomber, et ceux qui sont tombés, afin de se relever. Le crime d’un si grand saint n’est pas couvert du silence ; on le publie dans l’Église. Les cœurs dépravés l’écoutent, et y cherchent un encouragement au péché, ils s’efforcent d’y voir une excuse pour le crime qu’ils ont résolu de commettre, et non un moyen d’éviter celui qu’ils n’ont pas encore commis. Ils disent en eux-mêmes : David l’a fait, et moi, pourquoi non ? Et voilà qu’en se livrant au crime, parce que David l’a commis, cette âme devient plus criminelle que David lui-même. Je vais m’expliquer plus clairement, s’il est possible. David ne s’était point, comme toi, proposé de modèle : il tombait sous le poids de la concupiscence, et non sous le patronage de la sainteté ; tandis que toi, tu t’enhardis au péché par l’exemple d’un saint ; et, loin d’imiter sa sainteté, tu n’imites que sa chute.

  1. Ps. 31,5
  2. Id. 50,1-2
  3. Rom. 1,3
  4. 2 Sa. 11 ; 12,1-14