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pour pasteur la vie elle-même. Car c’est la vie qui viendra juger et qui frappera de damnation, avec leur pasteur, ceux auxquels elle dira : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges[1] ». Mais ceux qui ont reçu des insultes, et à qui leur foi a valu dérision, entendront de la vie elle-même qu’ils auront pour pasteur : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde[2]. Les justes domineront donc les méchants » ; non point aujourd’hui, mais au matin. Que nul ne dise : Que me sert d’être chrétien ? Je ne commande à personne, que du moins je domine les méchants. Ne vous pressez point ; vous dominerez, mais au matin. « Et leur appui se consumera dans l’enfer, après la gloire dont ils auront joui ». Aujourd’hui ils sont dans la gloire, dans l’enfer elle sera consumée, Qu’est-ce que leur appui ? l’appui de leurs richesses, l’appui de leurs amis, l’appui de leur propre puissance. Mais à la mort de l’homme, en ce jour même périront toutes ses pensées[3]. Autant il avait paru élevé en gloire, pendant qu’il vivait parmi hommes, autant la mort doit l’humilier, l’anéantir dans les supplices de l’enfer.
5. « Mais Dieu rachètera mon âme[4] ». Écoutez le cri de l’espérance pour l’avenir : « Toutefois Dieu rachètera mon âme ». C’est peut-être le cri de l’âme qui aspire après la délivrance de cette vie. Un homme est en prison : Dieu, dit-il, délivrera mon âme ; un autre gémit dans les chaînes : Dieu délivrera mon âme ; un troisième se trouve exposé à la mer, il est battu par les flots en courroux et tempétueux, que dit-il ? Dieu délivrera mon âme. Ils veulent être délivrés des maux de cette vie. Telle n’est point la délivrance que l’on souhaite ici. Écoutez la suite : « Dieu délivrera mon âme de la puissance de l’enfer, quand il m’aura pris sous sa garde ». Dès lors il est question de cette délivrance dont le Christ nous a donné le modèle en lui-même. Il est descendu aux enfers et ensuite remonté au ciel. Ce que nous avons vu dans le chef, nous le trouvons dans les membres. Notre foi dans le chef est basée sur la prédication de ceux qui ont vu ce qu’ils nous ont annoncé, et nous avons vu par leurs yeux, puisque nous sommes un même corps[5]. Mais ceux-là peut-être sont plus privilégiés, parce qu’ils ont vu, et peut-être le sommes-nous moins, parce que cela nous a été seulement prêché ? Tel n’est point le langage de celui qui est la vie et notre pasteur. Car il reproche à un disciple son doute, et sa volonté de toucher ses plaies ; et quand ce disciple eut touché ses plaies, et se fut écrié : « Mon Seigneur et mon Dieu », comparant l’hésitation de ce disciple avec la foi de l’univers entier : « Vous avez cru », lui dit-il, « parce que vous avez vu : bienheureux ceux qui ne voient pas et qui croient[6] ». « Dieu toutefois rachètera mon âme de l’enfer, quand il m’aura pris sous sa garde ». Mais ici-bas que faut-il attendre ? le labeur, l’angoisse, la tribulation, l’épreuve : n’espérez rien autre chose. Où donc sera la joie ? Dans l’espérance de l’avenir. Car l’Apôtre a dit : « Soyons toujours dans la joie ». Au milieu de vos tribulations, « soyez toujours dans la joie, toujours dans la tristesse ». Toujours dans la joie, car il a dit : « Nous paraissons dans la tristesse, et pourtant nous sommes dans la joie[7] ». Il y a chez nous tristesse en apparence ; mais il n’en est pas de même de notre joie. Pourquoi la tristesse n’est-elle qu’apparente ? parce qu’elle passera comme un songe, « et que les justes domineront au matin ». Car vous le savez, quiconque raconte un songe, ajoute comme ; c’était comme si je voyais, comme si je dînais, comme si j’étais à cheval, comme si je discutais. Toujours comme si, parce qu’en s’éveillant il n’a pas trouvé ce qu’il voyait. J’avais comme trouvé un grand trésor, dit un mendiant ; sans ce comme, il ne serait pas mendiant ; à cause du comme il est mendiant. Pour ceux dès lors qui ouvrent les yeux sur les plaisirs du monde, et savent y fermer leur cœur, ce comme passe rapidement et fait place à la réalité. Leur comme est la félicité de cette vie ; la réalité, c’est la peine. Pour nous il y a comme une tristesse, et non comme une joie. Car l’Apôtre ne dit point : Soyez comme dans la joie, mais toujours tristes ; ou : Comme dans la joie et comme dans la tristesse ; mais bien : « Comme dans la tristesse, mais toujours dans la joie ». « Nous sommes semblables à des pauvres » ; il dit ici semblables au lieu de comme, « et nous enrichissons bien des hommes ». Et quand

  1. Mt. 25,41
  2. Id. 34
  3. Ps. 145,4
  4. Id. 48,16
  5. 1 Cor. 12,12 ; Rom. 12,5
  6. Jn. 20,28-29
  7. 2 Cor. 6,10