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ou du moins partager avec lui. Toutefois, me dira quelqu’un : Voilà ceux que maudit l’Écriture : ceux qui meurent sans laisser à leurs enfants leur héritage ; elle appelle heureux celui qui leur laisse ses possessions. Pour moi, qui prête mon oreille à la vérité, je veux examiner ce sens, et je trouve que l’Écriture n’a rien dit en vain. Je vois mourir en effet beaucoup de méchants qui ont leurs fils pour héritiers ; et l’Ecriture n’a pu parler de manière à les séparer de ces misérables dont elle condamne la conduite ; et quel peut être mon sens, croyez-vous, mes frères, sinon que tous les hommes de cette sorte laisseront leurs biens à des étrangers ? Comment leurs fils seront-ils des étrangers ? Les fils des méchants sont des étrangers ; nous voyons en effet qu’un étranger devient le prochain d’un autre, dès qu’il lui rend service. Qu’un des vôtres ne vous rende aucun service, il vous devient étranger. Où trouvons-nous donc un étranger dont ses services ont fait un proche ? Dans l’Évangile. Un homme blessé par des voleurs gisait sur le grand chemin, et le Seigneur avait dit à quelqu’un : « Tu aimeras le prochain comme toi-même ; et cet homme avait répondu : Qui donc est mon prochain ? et le Seigneur lui dit qu’un homme allant de Jérusalem à Jéricho tomba entre les mains des voleurs qui le laissèrent à demi-mort » ; que ses proches passèrent ; car c’était un juif qui allait aussi de Jérusalem à Jéricho ; « et que le prêtre qui vint sur ces entrefaites passa outre ; qu’un lévite vint aussi et passa de même ; qu’un Samaritain vint à passer », et que ce Samaritain, que je ne connais point, mais qui était étranger au blessé, « s’approcha de lui, considéra sa misère, soigna ses plaies par pitié, le mit sur son cheval, le conduisit dans une hôtellerie et le recommanda au maître de l’hôtellerie ». Tout cela est une parabole qu’il me serait trop long d’expliquer ; mais, pour en revenir à ce que j’ai avancé, mes frères, le Seigneur demanda : « Lequel des trois qui passèrent fut le prochain du blessé ? et le docteur de la loi répondit : Je crois que c’est celui qui eut pitié de lui. Allez », dit le Sauveur, « et faites de même[1] ». Celui-là donc est votre prochain à qui vous faites miséricorde. Si donc un Samaritain est devenu le prochain de ce blessé par la pitié qu’il en eut, par les secours qu’il lui porta ; quiconque ne peut te venir en aide au moment des afflictions, devient pour toi un étranger. Revenons donc à ces riches qui ont vécu dans le crime, qui ont agi avec orgueil, qui sont morts en laissant leurs richesses, je ne dis pas à des étrangers, mais à des fils, et à des fils qui vivront comme leurs pères, qui seront superbes comme eux, voleurs comme eux, avares comme eux : ces fils leur sont étrangers. Et afin que vous compreniez bien qu’ils leur sont étrangers, les héritiers de ce riche de l’Évangile que dévoraient les flammes, le secoururent-ils ? Mais, direz-vous, peut-être n’eut-il point d’héritiers naturels, et ses biens passèrent-ils à des étrangers ? L’Évangile nous dit qu’il avait des héritiers ; car il s’écrie : « J’ai cinq frères ». Ses frères ne purent alors le secourir au milieu des flammes dévorantes. Que dirait ce riche aujourd’hui ? « J’ai cinq frères[2] », et j’ai négligé de me faire un ami de celui qui gisait autrefois à ma porte : ces frères qui possèdent mes biens ne peuvent me secourir, et sont des étrangers pour moi. Vous le voyez donc, tous ceux qui vivent mal laissent leurs biens à des étrangers.
15. Mais sans doute ces étrangers, qu’on nomme leurs proches, leur viennent en aide ? Voyez ce qu’ils peuvent leur donner, écoutez à ce propos les railleries de l’Écriture : « L’imprudent et l’insensé périront ensemble, et ils laisseront leurs biens à des étrangers ». Pourquoi dit-il : « A des étrangers ? » Parce qu’ils ne pourront leur être d’aucun secours. Et toutefois voyez en quoi ils s’imaginent leur être utiles : « Et leurs tombeaux seront leurs maisons pour l’éternité[3] ». On leur construit des sépulcres, et ces sépulcres sont des maisons. Souvent tu entendras un riche te dire : J’ai un palais de marbre, que je dois laisser, et je ne pense pas à me construire une maison éternelle pour y habiter sans fin. Quand il pense à se bâtir un sépulcre enrichi de marbre et de sculpture, il semble penser à une maison éternelle ; comme si telle était la demeure du riche de l’Évangile. Ah ! s’il y demeurait, il ne demeurerait point dans les enfers. Ce qui doit nous préoccuper, ce n’est pas le lieu où demeurera le corps, mais bien le lieu que doit habiter l’âme du pécheur ; mais « leurs sépulcres sont leurs demeures pour l’éternité. Leurs tentes subsisteront d’âge en âge.

  1. Lc. 10,27-37
  2. Lc. 16,28
  3. Ps. 48,12