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les pervers le voient ainsi. Que le bien te plaise, et Dieu est bon à tes yeux ; qu’il te déplaise, et Dieu est pervers. Dieu te paraît tortueux, parce que tu l’es toi-même ; car il est droit éternellement. Écoute ce qui est dit dans un autre psaume : « Combien est bon le Dieu d’Israël pour ceux qui ont le cœur droit ! »[1]
18. « Le sceptre de la droiture est le sceptre de votre empire. Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité »[2]. Vois quel est ce sceptre de la droiture. « Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ». Approche de ce sceptre, et que le Christ soit ton roi ; laisse-toi redresser par ce sceptre, de peur qu’il ne te brise, car c’est un sceptre de fer, un sceptre inflexible. En effet, qu’est-il dit ? « Tu les gouverneras avec un sceptre de fer, et tu les briseras comme le vase d’argile »[3]. Il conduit les uns, il brise les autres ; il dirige l’homme spirituel et brise l’homme charnel. Approche-toi donc du sceptre, que crains-tu de lui ? Voici tout le sceptre : « Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ». Que crains-tu ? Mais tu es peut-être injuste, et la haine que l’on attribue au Roi pour l’iniquité te fait trembler. Tu as un remède pourtant. Que hait-il ? L’injustice ; est-ce toi qu’il hait ? Mais l’iniquité est-elle en toi ? Si Dieu la hait, commence par la haïr, afin que vous soyez unis dans une même haine. En haïssant ce que Dieu hait tu seras l’ami de Dieu, et ainsi tu aimeras ce qu’il aime. Prends à dégoût l’iniquité qui est en toi, aime en toi la créature de Dieu. Tu es en effet homme injuste. En cela je dis deux choses ; oui, deux choses homme et injuste. Dans ces deux noms, le premier vient de la nature, le second du péché ; l’un est l’ouvrage de Dieu, l’autre est ton ouvrage ; aime donc l’œuvre de Dieu et déteste ton œuvre, puisque Dieu la déteste. Comprends alors qu’en haïssant ce qu’il hait tu commences à t’unir à lui. Il doit punir le péché, parce que son sceptre est un sceptre de droiture. Mais ne pourrait-il pas laisser le péché impuni ? Il faut que le péché soit puni, et s’il n’était point châtié, il ne serait plus péché. Préviens donc le Seigneur, et si tu ne veux pas qu’il le punisse, punis-le toi-même. C’est pour cela que Dieu t’épargne ici-bas, qu’il diffère, qu’il retient son bras, qu’il tend son arc, c’est-à-dire qu’il menace. Nous dirait-il si longtemps qu’il va frapper, s’il le voulait en effet ? Il tarde alors de mettre la main à ton péché ; mais toi, ne tarde point. Applique-toi donc à punir tes péchés, puisqu’un péché ne peut demeurer impuni. Donc il sera châtié ou par toi ou par Dieu ; ne te pardonne rien afin que Dieu te pardonne. Écoute un exemple du fameux psaume de la pénitence : « Détournez votre face de mes péchés »[4]. Dit-il : Détournez de moi ? Dans un autre endroit il dit clairement : « Ne détournez pas de moi votre face »[5]. Donc « détournez votre face ce de mes péchés », je ne veux pas que vous voyiez mes péchés ; car en Dieu, voir, c’est châtier. Aussi, qu’un juge punisse un crime, on dit qu’il connaît d’un crime, qu’il y a mis son attention, afin de le connaître et de le punir parce qu’il est juge. C’est ainsi que Dieu est juge lui-même. « Détournez votre ce face de mes péchés ». Mais toi, n’en détourne pas ton regard, si tu veux que Dieu en détourne le sien. Vois ensuite comme le Prophète fait valoir ce motif devant Dieu dans ce même psaume : « Pour moi », dit-il, « je reconnais mon crime, et ma faute est toujours devant mes yeux »[6]. Il ne veut pas que Dieu voie ce qu’il veut voir lui-même. « Le sceptre de votre règne est un sceptre de droiture ». Ne nous applaudissons pas à l’excès de la divine miséricorde, c’est un sceptre de droiture. Disons-nous pour cela que Dieu est sans miséricorde ? Quoi de plus miséricordieux que lui, qui pardonne tout aux pécheurs, que lui, qui oublie le passé de ceux qui se convertissent à lui ? Aimez toutefois sa miséricorde, mais de manière à respecter sa véracité ; la miséricorde en lui ne peut détruire la justice, non plus que la justice ne détruit la miséricorde. Mais pendant qu’il diffère de te châtier, ne diffère pas toi-même ; parce que le sceptre de son royaume est un sceptre de justice.
19. « Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ; c’est pour cela que votre Dieu vous a marqué de l’onction »[7]. Il vous a oint, afin que vous aimiez la justice et que vous haïssiez l’injustice. Remarquez cette expression : « C’est pour cela, ô Dieu, que votre ce Dieu vous a oint ». O Dieu, c’est un Dieu qui vous a marqué de l’onction. Un Dieu est oint par un Dieu. Dans le latin, on pourrait croire que le-mot Dieu est répété au même cas ; mais dans le grec la différence est claire,

  1. Ps. 72,1
  2. Id. 44,8
  3. Id. 2,9
  4. Ps. 50,11
  5. Id. 26,9
  6. Id. 50,5
  7. Id. 44,8