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encore ? Le lac bourbeux, les charnelles convoitises, les ténèbres de l’iniquité. « J’oublie ce qui est en arrière, pour m’élancer vers ce qui est devant moi ». Il ne dirait pas qu’il s’élance, s’il était parvenu. Car l’âme s’élance par l’amour de ce qu’elle désire, et non par la joie de ce qu’elle a obtenu. « Je m’élance », dit-il, « vers ce qui est en avant, je cours vers la palme de la céleste vocation qui est en Dieu par Jésus-Christ »[1]. Il courait donc, il voulait remporter la palme. Et ailleurs, sur le point de cueillir cette palme, « J’ai achevé ma course »[2], dit-il. Quand il disait donc : « Je cours vers la palme de la céleste vocation », parce que ses pieds étaient redressés, raffermis sur la pierre, déjà il marchait dans le bon chemin : il avait des grâces à rendre, il avait des demandes à faire, à rendre grâces de ce qu’il avait reçu, à demander ce qui lui était dû encore. Qu’avait-il reçu ? Le pardon de ses fautes, les lumières de la foi, la force de l’espérance, le feu de la charité. De quoi le Seigneur lui était-il redevable ? « Il ne me reste plus », dit-il, « qu’à recevoir la couronne de justice ». Il y a donc envers moi des arrérages ? Quels arrérages ? « La couronne de justice, que le Seigneur, comme un juste juge, m’accordera en ce grand jour »[3]. Dans sa bonté paternelle, il m’a tiré d’abord de l’abîme des misères, m’a remis mes fautes, m’a soulevé du lac bourbeux : dans l’équité d’un juge, il tient sa promesse envers celui qui marche dans la bonne voie, après l’avoir fait tout d’abord marcher dans cette voie. Ce juge équitable tiendra donc sa promesse ; mais envers qui ? « Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin sera sauvé »[4].
4. « Il a mis dans ma bouche un cantique nouveau »[5]. Quel est ce nouveau cantique ? « Un hymne à notre Dieu ». Tu chantais autrefois peut-être des hymnes aux dieux étrangers, vieilles hymnes que chantait le vieil homme et non l’homme nouveau : que le vieil homme se renouvelle et chante un cantique nouveau, qu’il se renouvelle et qu’il aime ces nouveautés qui le rajeunissent. Qu’y a-t-il de plus ancien que Dieu, qui est avant tout, sans fin comme sans commencement ? Il est nouveau pour toi quand tu reviens à lui ; car, en t’éloignant de lui, tu avais vieilli, et tu avais dit : « Je vieillis au milieu de mes ennemis »[6]. Nous chantons donc un hymne à notre Dieu, et cet hymne nous délivre. « Je logerai, j’invoquerai le Seigneur et je serai délivré de mes ennemis »[7]. Un hymne est en effet un cantique de louanges. Invoque en louant, non pas en blâmant. Si tu demandes que Dieu afflige ton ennemi, si tu veux te réjouir du mal d’autrui, et que tu demandes ce mal à Dieu, tu le rends complice de ta méchanceté. Mais le rendre complice de ta méchanceté, ce n’est plus l’invoquer avec louange, c’est l’invoquer en le blâmant. Tu crois alors que Dieu est semblable à toi. De là vient ce reproche qu’il te fait ailleurs : « C’est là ce que tu as fait, et je me suis tu. Ton iniquité m’a jugé semblable à toi »[8]. Invoque alors le Seigneur en le bénissant ; ne va point le croire semblable à toi, pour te rendre semblable à lui. « Soyez parfaits comme votre Père est parfait, lui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes »[9]. C’est à toi de louer le Seigneur de manière à ne souhaiter aucun mal à tes ennemis. Et quel bien faut-il désirer pour eux ? le même que pour toi. Ce n’est pas à tes dépens que la grâce les fera bons, et ce qui leur sera donné ne diminuera rien de ce qu’elle te donne, Ton ennemi n’est ton ennemi qu’à cause de sa malice ; qu’il devienne bon, et il sera pour toi un ami, un compagnon ; il sera même un frère, et tu voudras aimer avec lui ce que tu aimes. Loue donc le Seigneur en l’invoquant, et chante un hymne à ton Dieu. « C’est », dit le Seigneur, « un sacrifice de louanges qui doit m’honorer ». Quoi donc ? La gloire de Dieu en sera plus grande si vous le glorifiez ? Est-ce ajouter à sa gloire, que lui dire : Je vous glorifie, ô mon Dieu ? Le rendons-nous plus saint en lui disant : Seigneur, je vous bénis ? Pour lui, nous bénir, c’est nous rendre plus saints, plus heureux ; nous glorifier, c’est nous élever en gloire et en honneur : mais nous, le glorifier, c’est profit pour nous, rien pour lui. Comment le glorifier ? En chantant sa gloire, mais nullement en lui en donnant. Aussi après avoir dit : « C’est un sacrifice de louanges qui doit m’honorer », qu’a-t-il ajouté ? Afin que nul ne croie faire un avantage à Dieu en lui offrant ce sacrifice

  1. Phil. 3,14
  2. 2 Tim. 4,7
  3. Id. 8
  4. Mt. 10,22
  5. Ps. 39,4
  6. Ps. 6,8
  7. Id. 17,4
  8. Id. 49,21
  9. Mt. 5,45-48