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parfait, mais je poursuis cette palme du suprême appel de Dieu »[1], tel sera le prix de ma course. Cette course doit aboutir à une certaine demeure, et cette demeure sera la patrie qui ne connaît ni l’exil, ni la sédition, ni l’épreuve. Donc, « faites-moi connaître, Seigneur, le nombre de mes jours, qui subsiste, afin que je sache ce qui me fait défaut » ; parce que je n’y suis point encore parvenu ; afin que je ne m’enorgueillisse point de ce que j’ai déjà, et que je sois trouvé en Dieu ayant une justice, mais non celle qui vient de moi. En comparant ce qui est en moi avec tout ce qui n’y est point de la même manière, en voyant qu’il me manque bien plus que je n’ai, je serai plutôt humilié de ce qui me fait défaut, qu’enorgueilli de ce que je trouverai en moi. Ceux, en effet, qui croient avoir quelque chose, pendant qu’ils sont en cette vie, se privent par cet orgueil de ce qui leur manque : parce qu’ils regardent comme grand ce qui est de la terre. « Si quelqu’un s’imagine être quelque chose, il se trompe lui-même, puisqu’il n’est rien »[2]. Ils ne se grandissent pas pour cela. L’enflure, l’orgueil imite la grandeur, mais il n’a rien de solide.
9. Notre interlocuteur, qui devance les autres, roule en son âme quelque dessein que peut seul comprendre Celui qui a les mêmes pensées ; comme si Dieu, exauçant sa prière, lui eût fait connaître sa fin, et fait comprendre le nombre de ses jours, non de ceux qui passent, mais de ceux qui demeurent ; le voilà qui considère ce qu’il a dépassé, qui le compare avec ce qu’il connaît de l’éternité, et comme si on lui demandait : Pourquoi désirer de connaître le nombre de tes jours, qui subsiste ? Que penses-tu des jours présents ? Du lieu où il s’est élevé, il regarde ce qui est ici-bas et s’écrie « Voilà que mes jours ont vieilli ! »[3] Dès lors que ceux-là vieillissent, j’en veux de nouveaux, de ceux qui ne vieillissent jamais, afin que je puisse dire : « Ce qui était vieux est passé, « tout est devenu nouveau ! »[4] Aujourd’hui en espérance, bientôt en réalité. Bien que nous soyons renouvelés par la foi et l’espérance, combien nous faisons d’œuvres du vieil homme ! Car nous ne sommes pas tellement revêtus du Christ qu’il ne nous reste plus rien d’Adam. Voyez Adam vieillir et le Christ se renouveler en nous : « Quoique l’homme extérieur se détruise en nous », dit l’Apôtre, « l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour »[5]. Donc nous ne sommes point à demeure, ni pour le péché, ni pour la mortalité, ni pour le temps qui s’enfuit, ni pour les gémissements, le travail et les sueurs, ni pour ces âges qui se succèdent, nous passons insensiblement de l’enfance à la vieillesse, et en face de tout cela voyons ici le vieil homme, les vieux jours, le vieux cantique, le vieux Testament : mais considérons l’homme intérieur, et au lieu de ce qui change, voyons ce qu’il faut renouveler, nous trouverons alors l’homme nouveau, le jour nouveau, le nouveau cantique, le nouveau Testament : attachons-nous à ce qui est nouveau, de manière à ne point craindre ce qui a vieilli. Donc, en notre course en cette vie, nous passons de ce qui a vieilli à ce qui est nouveau ; et ce passage s’effectue pendant que l’homme extérieur se détériore, que l’homme intérieur se renouvelle ; jusqu’à ce que le corps qui se corrompt extérieurement, payant tribut à h nature, arrive à la mort et se renouvelle dans la résurrection. C’est alors que se renouvellera en réalité ce qui se fait ici-bas ers espérance. Tu fais donc une œuvre, maintenant, en te dépouillant de ce qui a vieilli pour courir à ce qui est nouveau. Mais Idithun, courant à ce qui est nouveau, et s’élançant vers ce qui était devant lui, s’écriait : « Seigneur, faites-moi connaître ma fin et le nombre de mes jours, qui subsiste réellement, afin que je sache ce qui me fait défaut ». Il traîne après lui le vieil Adam, et se hâte d’arriver au Christ. « Voilà », dit-il, « que mes jours ont vieilli ». Ces jours qui me viennent d’Adam, vous les faites vieux ; ils vieillissent chaque jour, ils vieillissent au point de finir entièrement. « Et tout mon être sera devant vous comme rien ». Oui, devant vous, Seigneur, tout mon être sera comme le néant, devant vous qui voyez tout cela ; et moi, si je le vois, ce n’est que devant vous, et non devant les hommes. Que dirai-je ? Quelles paroles employer pour montrer que mon être n’est rien en comparaison de Celui qui est ? Mais c’est à l’intérieur que cela se dit, comme c’est à l’intérieur que cela se fait sentir. C’est « devant vous », Seigneur, c’est-à-dire où se fixent vos yeux et non les yeux des hommes. Mais

  1. Phil. 3,12-14
  2. Gal. 6,3
  3. Ps. 38,6
  4. 2 Cor. 5,17
  5. 2 Cor. 4,16