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 Garde ses voies ». Et si je les garde, quelle sera ma récompense ? « Il t’élèvera, afin que tu aies la terre en héritage[1] ». Quelle terre ? Encore une fois, ne porte point ta pensée sur quelque villa ; c’est la terre dont il est dit « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous est préparé dès l’origine du monde[2] ». Et qu’arrivera-t-il à ceux qui nous ont torturés, au milieu desquels nous gémissons, dont nous avons supporté les scandales, et dont les fureurs ont rendu vaines toutes les prières que nous faisions pour eux ? Voici la suite : « Tu seras témoin de la perte des méchants » ; et tu la verras de tout près, car tu seras à la droite et eux à la gauche. C’est ce que l’on voit des yeux de la foi ; or, ceux qui ne les ont point, s’affligent du bonheur des méchants, ils croient que leur propre justice est inutile, quand ils voient l’impie en honneur. Mais pour celui qui a l’œil de la foi, quel est son langage ? « J’ai vu l’impie élevé, il dépassait en hauteur les cèdres du Liban[3] ». Le voilà donc élevé, il plane dans les hauteurs, et après ? « Et j’ai passé, et il n’était déjà plus ; et je l’ai cherché sans trouver même sa place[4] ». Pourquoi n’était-il plus, et sa place ne se trouvait-elle point ? Parce que tu as passé. Mais si tu as encore des pensées charnelles, si un bonheur terrestre te paraît encore le vrai bonheur, tu n’as pas encore passé, tu es égal ou même inférieur à l’impie ; marche donc et passe ; et lorsque dans ta marche tu l’auras dépassé, regarde avec foi, et en voyant sa fin tu diras en toi-même : Ce n’est point là cet homme si enflé d’orgueil ; tu croiras passer près d’une grosse fumée. Car c’est encore là ce qu’a dit plus haut notre psaume : « Ils s’évanouiront comme s’évanouit la fumée ». La fumée s’élance dans les airs, s’élève comme un épais tourbillon. Plus elle s’élève, plus elle se dilate. Mais quand tu seras passé, regarde en arrière ; il n’y aura que de la fumée derrière toi, si Dieu est devant toi. Ne regarde point derrière avec des regrets, comme regarda la femme de Loth[5], qui demeura en chemin ; mais regarde avec mépris, et tu verras que le méchant n’est plus nulle part, et tu chercheras sa place. Quelle est sa place ? Sa place consiste dans son pouvoir, dans ses richesses, dans le rang qu’il occupe dans Je monde, qui lui assujettit le grand nombre, en sorte qu’il commande et qu’on lui obéit. Cette place donc n’existera plus, mais elle passera et tu pourras dire : « J’ai passé et voilà qu’il n’était plus ». Qu’est-ce à dire : j’ai passé ? Je me suis avancé, je suis arrivé à la vie spirituelle, je suis entré dans le sanctuaire de Dieu, afin de contempler la fin du méchant[6] « Et voilà qu’il n’était plus ; je l’ai cherché sans même trouver sa place ». 15 « Garde l’innocence ». Garde-la avec le même soin que tu gardais ton argent lorsque tu étais avare ; comme tu gardais ta bourse de peur qu’elle ne devînt la proie du voleur ; veille avec le même soin sur ton innocence, de peur que le démon ne te la ravisse ; qu’elle te soit un patrimoine assuré, elle qui enrichit même les pauvres. « Garde ton innocence ». De quoi te servirait de gagner de l’or et de perdre l’innocence ? « Garde l’innocence et considère la justice[7] ». Que tes yeux soient droits pour voir ce qui est droit, mais non mauvais pour voir les méchants, ni obliques de manière que Dieu lui-même te paraisse oblique ou injuste, favorisant l’impie et persécutant le fidèle. Ne vois-tu point combien ta vue est oblique ? Corrige alors tu yeux « et regarde en droite ligne ». Quelle droite ligne ? Ne considère pas les choses présentes. Et que verras-tu ? « Qu’il reste quelque chose à l’homme de la paix ». Quel est ce « reste ? » Qu’après ta mort tu ne seras point mort ; voilà ce qui reste. Il y aura donc pose le juste quelque chose après cette vie ; c’est-à-dire que sa semence sera en bénédiction. De là vient que le Seigneur a dit : « Celui qui croira en moi vivra quand même il serait mort[8] » ; car il reste quelque chose à l’homme de la paix.
16. « Quant aux méchants, ils périront, in idipsum », dit le latin. Qu’est-ce à dire, in idipsum ? Ou bien, pour l’éternité, ou toi ensemble. « Ce qui reste de l’impie périra[9]. Mais il reste quelque chose à l’homme pacifique ; donc tous ceux qui ne sont point pacifiques sont impies. « Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés les enfants de Dieu ».[10]
17. « Mais le salut des justes vient du Seigneur, il est leur soutien au jour de la tribulation :

  1. Ps. 36,34
  2. Mt. 25,34
  3. Ps. 36,35
  4. Id. 36
  5. Gen. 19,26
  6. Ps. 72,17
  7. Id. 36,37
  8. Jn. 11,25
  9. Ps. 36,38
  10. Mt. 5,9