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que, dans leurs sentiers tortueux, ils n’eussent pu revenir au bien. Mais le Seigneur est venu pour nous appeler, nous racheter, répandre son sang ; ce sont là, et le prix qu’il a donné, et le bien qu’il a fait, et les douleurs qu’il a endurées. Examine ce qu’il a fait, c’est bien un Dieu ; vois ce qu’il a souffert, c’est bien un homme. Quel est ce Dieu-Homme ? O homme, si tu n’avais abandonné Dieu, un Dieu ne se ferait point homme pour toi ! C’était peu pour sa bonté, pour sa miséricorde, de t’avoir fait homme, s’il ne se fût fait homme pour toi. C’est lui qui dirige nos pas, afin que nous désirions ses voies. « C’est le Seigneur qui redresse les pas de l’homme, lequel recherche ses voies ».
16. Mais si tu veux suivre la voie du Christ, ne va point te promettre les félicités du siècle. Il a marché par des chemins difficiles, mais il a promis de grands biens ; c’est à toi de le suivre. Ne considère pas seulement le chemin à suivre, mais le point où tu dois aboutir. Tu souffriras des maux qui passeront, pour arriver à des joies éternelles. Si tu veux supporter le travail, envisage la récompense. L’ouvrier se découragerait dans la vigne, s’il n’envisageait son salaire. Et quand tu auras envisagé ton salaire, tout ce que tu souffres te paraîtra vil et peu digne d’être comparé avec le bonheur qui en sera la récompense. Tu seras étonné d’un si grand prix pour un travail si minime. Car enfin, mes frères, pour mériter un repos éternel, il faudrait un travail éternel ; et un bonheur sans fin ne devrait s’acheter que par une douleur également sans fin ; mais si ton labeur était éternel, quand pourrais-tu arriver à l’éternelle félicité ? De là vient pour la douleur cette nécessité de finir pour faire place à un bonheur sans fin. Et pourtant, mes frères, cette félicité éternelle pouvait être le prix d’une peine bien longue. Ainsi, pour mériter un bonheur sans fin, notre labeur, notre misère eussent pu durer des siècles. Et eussent-ils duré un millier d’années, qu’est-ce qu’un millier d’années en face de l’éternité ? qu’est-ce qu’un nombre fini, quelque grand qu’il soit, en face de l’infini ? Dix mille années, des millions et des milliards d’années, si l’on peut s’exprimer ainsi, tout cela finira et ne peut se comparer à l’éternité. C’est donc un autre effet de la bonté de Dieu de t’avoir mesuré une épreuve non seulement temporelle, mais encore très courte. La vie de l’homme serait courte, ne compterait que bien peu de jours, quand même Dieu ne mêlerait pas à nos misères des joies qui sont assurément plus nombreuses et plus durables que nos peines ; et ces peines en sont plus courtes et moins nombreuses, afin que nous puissions les endurer. Qu’un homme donc voie sa vie entière s’écouler jour par jour, heure par heure, dans les travaux, dans les chagrins, dans la douleur, dans les tourments, dans la prison, dans les plaies, dans la faim et dans la soif, et cela pendant toute une vie jusqu’à l’extrême vieillesse, la vie de l’homme n’a que peu de jours, et, après ce labeur, viendra le royaume éternel, la félicité sans fin, l’égalité avec les anges, l’héritage du Christ et le Christ lui-même, cohéritier avec nous. Quelle récompense, en comparaison du labeur ! Des vétérans, qui se fatiguent dans les armées, qui affrontent les blessures pendant tant d’années, qui portent les armes de la jeunesse, se retirent cassés de vieillesse ; et, pour avoir quelques jours de paix dans ces vieilles années qui pèsent sur ces hommes à qui la guerre ne pesait rien, quelles difficultés à surmonter, combien de marches, que le froid rigoureux, quelles chaleurs à supporter, quelles extrémités, quelles blessures, quels périls à braver ! Et dans toutes ces fatigues ils n’envisagent que ces quelques jours de vieillesse, qu’ils ne sont pas certains d’atteindre. Donc, « le Seigneur dirige les pas des hommes, et ils chercheront ses voies ». C’est là ce que je commençais à exposer : si tu veux suivre la voie du Christ, si tu es vraiment chrétien, et le vrai chrétien est celui qui ne méprise pas la voie du Christ, mais qui veut suivre ses pas même dans les souffrances, garde-toi de chercher une autre voie que celle qu’il a parcourue. Elle paraît difficile et néanmoins c’est la voie sûre ; l’autre peut avoir ses attraits, mais elle est infestée par les voleurs. « Et les hommes chercheront sa voie ».
17. « Quand il se heurtera, il n’en sera point troublé, parce que le Seigneur fortifie ses mains »[1]. C’est là désirer la voie du Christ Qu’il arrive à cet homme de passer par la tribulation, par le déshonneur, par les affronts, par la douleur, par les pertes et par les peines si nombreuses dans la vie humaine ; il se rappelle toutes les souffrances qu’a dû endurer

  1. Ps. 36,24