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ta chair t’assujettit encore à la loi du péché[1], parce que tu ressens quelques délectations dans la chair, elles deviendront nulles quand tu n’auras plus à combattre. Il y a une différence entre n’avoir plus à combattre, parce que l’on jouit d’une paix vraie et continuelle, et combattre encore, mais vaincre ; entre combattre et être vaincu, et ne plus combattre, mais se laisser entraîner. Il y a des hommes qui ne combattent plus ; tel est celui dont il est parlé ici. Il ne hait point le mal, dit le Prophète ; comment combattre ce qu’il ne hait point ? Il est donc entraîné par sa malice, sans résister nullement. D’autres commencent par combattre ; mais comme ils présument de leurs forces, Dieu veut leur montrer que c’est lui seul qui peut vaincre dans l’homme qui se soumet à lui, et ils sont vaincus dans le combat ; et quand ils ont commencé à pratiquer une certaine justice, ils deviennent orgueilleux et se brisent. Ceux-là combattent, mais ils succombent. Quel est celui qui combat sans être vaincu ? Celui qui dit : « Je vois dans mes membres une autre loi contraire à la loi de l’esprit ». Voilà un athlète ; mais comme il ne présume point de ses forces, il sera victorieux. Que dit-il ensuite ? « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur »[2]. Il met son espoir dans celui qui lui ordonne de combattre, et il surmonte son ennemi avec le secours de celui qui commande la lutte. Quant à l’autre, « il n’a point de haine pour le mal ».
7. « Seigneur, votre miséricorde est dans le « ciel et votre vérité jusqu’aux nues »[3]. Le Prophète parle de je ne sais quelle miséricorde, qui est spécialement dans le ciel. Car il y a aussi une miséricorde du Seigneur qui est sur la terre. Il est écrit : « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur »[4]. De quelle miséricorde veut-il parler, quand il dit : « Seigneur, votre miséricorde est dans les cieux ? » Entre les dons de Dieu, il en est qui sont temporels et terrestres, et d’autres qui sont célestes et éternels ; celui qui ne se propose, en servant Dieu, que d’acquérir ces dons terrestres et temporels, qui sont l’apanage de tous, n’est encore qu’au rang des bêtes ; il a part à la divine miséricorde, mais non à cette miséricorde, plus spéciale, qui u e sera donnée qu’aux seuls justes, aux saints, aux bons. Quels sont les dons communs à tous ? « Dieu fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes « et sur les injustes »[5]. Qui d’entre les hommes n’a part à cette miséricorde, puisque d’abord il existe ; ensuite il diffère des animaux brutes, il est animal raisonnable, il peut comprendre Dieu, jouir de cette lumière, de cet air, de ta pluie, des récoltes, de la diversité des saisons, de la santé du corps, du commerce de ses amis, de la conservation de sa famille ? Tout autant de biens qui viennent de la munificence de Dieu. Ne croyez point, mes frères, que tout autre que Dieu seul nous les puisse donner. Quiconque alors ne les attend que de Dieu seul, met un vaste intervalle entre lui et ceux qui les recherchent auprès des démons, des magiciens, des astrologues, Ces derniers, en effet, sont doublement misérables, puisqu’ils ne souhaitent que des biens temporels et qu’ils ne les demandent pas à l’Auteur de tout bien. Mais ceux qui désirent ces biens, qui veulent mettre en eux leur félicité, et qui ne les demandent qu’à Dieu seul, sont préférables sans doute en ce qu’ils ne les demandent qu’à Dieu, et toutefois ils sont encore en danger. Quel est ce danger ? nous dira-t-on. C’est qu’ils jettent parfois les yeux sur les choses du monde, et ils voient que ces biens terrestres, objets de leurs désirs, sont aussi le partage, l’ample partage des impies et des mi chants, et ils se croient privés de récompense dans le culte de Dieu, puisque les méchante qui n’honorent pas Dieu partagent ces biens avec ceux qui le servent fidèlement ; quelquefois même ceux qui servent Dieu n’ont rien de ce qui est en abondance chez ceux qui blasphèment : c’est en cela qu’est pour eux le danger.
8. Mais le Prophète sait bien quelle miséricorde il implore de Dieu. « Seigneur », dit-il, « votre miséricorde est dans le ciel, et votre vérité s’élève jusqu’aux nues » ; c’est-à-dire cette miséricorde spéciale que vous accordez à vos saints est du ciel et non de la terre ; oit est éternelle et non passagère. Mais comment avez-vous pu l’annoncer aux hommes ? C’est que votre vérité s’élève jusqu’aux nues pourrait en effet connaître les dons célestes de Dieu, si Dieu ne les annonçait aux hommes ? Comment les a-t-il fait connaître ? En faisant descendre la vérité jusqu’aux nuées. Quelles

  1. Rom. 6,15
  2. Id. 23-25
  3. Ps. 35,6
  4. Id. 22,5
  5. Mt. 5,45