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et agis : « Préserve ta langue du mal »[1]. Oui, fais cela. Je ne veux point, dit l’homme du fond de sa misère, je ne veux point interdire le mal à ma langue, et pourtant je veux la vie et des jours heureux. Si un homme de peine te disait : Je ravage ta vigne, et je veux encore un salaire ; tu m’as amené à ta vigne afin de la tailler, de l’ébourgeonner, j’en coupe tous les bois fruitiers, j’énerve les branches vigoureuses, afin que tu n’y puisses rien recueillir, et quand j’aurai fait cela, tu me paieras mon travail. Ne dirais-tu point que cet homme est insensé ? Ne le chasserais-tu pas de chez toi, avant qu’il prenne la serpe en main ? Tels sont les hommes qui veulent faire le mal, commettre le parjure, blasphémer Dieu, murmurer, s’adonner à la fraude, à l’intempérance, aux procès, à l’adultère, user d’amulettes, consulter les devins, et avoir des jours heureux. On lui dit : Tu ne peux, en commettant le mal, revendiquer la récompense du bien. Si tu es injuste, le Seigneur le sera-t-il aussi ? Que ferai-je donc ? Et que veux-tu ? Je veux la vie, je veux des jours heureux, « Préserve donc ta langue du mal, et que tes lèvres ne distillent point la fraude » ; c’est-à-dire, que nul ne soit victime de ta fraude, nul de tes mensonges.
19. Mais que signifie : « Détourne-toi du mal ? »[2] C’est peu de ne nuire à personne, de ne tuer personne, de ne commettre ni vol, ni fraude, ni adultère, et de ne faire aucun faux témoignage. « Détourne-toi du mal » ; mais à peine en es-tu détourné que tu dis : Je suis en sûreté, j’ai tout fait, j’aurai la vie, je verrai des jours heureux. Non seulement « détourne-toi du mal » ; mais, « fais le bien ». C’est peu de ne dépouiller personne, il faut vêtir le pauvre. Ne pas dépouiller, c’est éviter le mal ; mais tu ne feras le bien qu’à la condition de recevoir l’étranger dans ta demeure. Donc, évite le mal, afin de faire le bien. « Cherche la paix, et suis-la ». Il ne te dit point : Tu auras la paix ici-bas, mais : Cherche-la et poursuis-la. Où la chercher ? Où elle s’est retirée. Notre paix, c’est le Seigneur qui est ressuscité, qui est monté aux cieux. « Cherche donc là paix et poursuis-la » : car à la résurrection, ce qu’il y a de mortel en toi sera changé, et tu embrasseras cette paix que nul ne pourra troubler. La Paix sera parfaite pour toi, puisque tu ne souffriras plus la faim. C’est le pain qui fait la paix ici-bas ; ôte le pain, et vois quelle guerre tu ressentiras en tes entrailles. Pourquoi donc les justes ont-ils à gémir ici-bas, mes frères ? C’est afin de vous apprendre qu’en cette vie nous cherchons la paix, et que nous l’obtiendrons à la fin seulement. Mais essayons de l’avoir en partie en cette vie, afin de l’avoir entièrement dans l’autre. Qu’est-ce à dire en partie ? Soyons en bonne harmonie, aimons notre prochain comme nous-mêmes. Aie donc pour ton frère le même amour que pour toi-même, sois en paix avec lui. Mais il est impossible de bannir toute espèce de rixe, comme on en voit s’élever entre des frères, et même entre des saints, comme il s’en éleva entre Barnabas et Paul[3], mais qui n’allaient point jusqu’à éteindre la charité, jusqu’à étouffer la concorde. Car tu es souvent en désaccord avec toi-même, et néanmoins tu n’as pas de haine pour toi. Quiconque a du repentir est en désaccord avec lui-même, Il a péché, il rentre en lui-même, il se fâche d’avoir agi de la sorte, d’avoir fait cette faute. Il est donc en désaccord avec lui-même, mais ce désaccord doit rétablir l’harmonie. Vois de quelle manière un juste se querelle, et se dit : « Pourquoi cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? Espère dans le Seigneur, parce que je le confesserai encore »[4]. Si donc il dit à son âme : « Pourquoi me troubler ? » c’est qu’elle lui causait du trouble. Il voulait peut-être souffrir pour le Christ, et son âme s’en affligeait. Et lui qui le savait, et qui disait : « Pourquoi donc, ô mon âme, t’attrister et me troubler ? » n’était pas en paix avec lui-même ; mais il était uni d’esprit au Christ, afin que son âme le suivît, et qu’elle ne le troublât plus. Donc, mes frères, cherchez la paix. « Je vous parle de la sorte », dit le Seigneur, « afin que vous ayez la paix en moi ; je ne vous promets point la paix sur la terre »[5]. Il n’y a en cette vie ni paix véritable, ni tranquillité. On nous promet la joie de l’immortalité, et la société des anges. Mais quiconque ne l’aura point cherchée pendant cette vie, ne la possédera point, quand elle doit nous échoir.
20. « Les yeux du Seigneur sont sur les justes »[6]. Bannis donc toute crainte, et travaille ; les yeux du Seigneur sont sur toi, «

  1. Ps. 33,14
  2. Id. 15
  3. Act. 15,39
  4. Ps. 62,5
  5. Jn. 16,33
  6. Ps. 33,16