Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/322

Cette page n’a pas encore été corrigée

Si donc il ne nous abandonne pas dans la disette de notre corruption, de quelles délices nous rassasiera-t-il quand nous serons devenus immortels ? Mais tant que doit durer la disette, il faut souffrir, il faut endurer, il faut persévérer jusqu’à la fin. Parcourons maintenant tout le psaume, car la voie est aplanie, et il faut avoir égard à ce corps fragile que nous portons. Il y a peut-être encore dans l’amphithéâtre des hommes fous d’enthousiasme et assis au soleil ; nous du moins si nous sommes debout, nous sommes à l’ombre, et ce que nous voyons ici est incomparablement plus beau et plus utile. Voyons donc ce qui est beau, afin que la beauté par excellence arrête les yeux sur nous. Voyons en esprit ce qui est renfermé dans le sens des divines Écritures, et jouissons d’un tel spectacle. Mais à notre tour, qui nous verra ? « Voilà que les yeux du Seigneur s’arrêtent sur ceux qui le craignent, et qui espèrent en sa miséricorde : afin d’arracher leurs âmes à la mort et de les nourrir dans la disette ».
26. Mais pour supporter cet exil, pendant lequel nous souffrons la faim et nous attendons que Dieu nous rassasie, de peur que nous ne tombions en défaillance, que nous est-il ordonné, et quelle résolution faut-il prendre ? « Notre âme attendra le Seigneur »[1]. Elle attendra en toute sûreté celui qui a fait de si miséricordieuses promesses, et qui les tiendra avec tant de miséricorde et de vérité. Mais que faire jusqu’à ce qu’il les accomplisse ? « Mon âme attendra le Seigneur avec patience ». Mais qu’arrivera-t-il si la patience vient à lui manquer ? Jamais cette patience ne nous fera défaut : « Car Dieu vient à notre aide, il est notre protecteur ». Il nous soutient dans le combat, il nous abrite contre la chaleur, il ne nous abandonne point : souffrez donc, souffrez longtemps. « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin »[2].
27. Et lorsque tu auras attendu longtemps, souffert avec patience, persévéré jusqu’à la fin, que t’arrivera-t-il ? Quelle sera ta récompense, qu’auras-tu gagné à tant souffrir ? « Alors notre cœur s’épanouira en lui, parce que nous avons espéré en son nom »[3]. Espère donc en cette vie afin de t’épanouir alors ; endure ici-bas la faim et la soif, afin d’être rassasié là-haut.
28. Le Prophète nous a exhortés à tout endurer, il nous a comblés des joies de l’espérance, il nous a proposé ce que nous devons aimer, ou celui en qui et de qui nous devons tout attendre : il termine par une invocation courte et salutaire : « Seigneur, que votre miséricorde descende sur nous ». Et par quel mérite ? « En proportion de notre espoir en vous »[4]. J’ai été bien long pour quelques-uns, je le sens ; mais je sens encore que pour d’autres mon homélie est bien courte ; que les faibles soient indulgents pour les forts, et que les forts prient pour les faibles. Soyons tous les membres d’un même corps, et que la sève nous vienne de notre chef divin : c’est en lui qu’est notre espérance, en lui encore qu’est notre force. Ne craignons point d’exiger de Dieu sa miséricorde ; il veut absolument qu’on la lui demande. Nos pressantes exigences ne le jetteront ni dans le trouble ni dans l’angoisse, comme le malheureux qui n’a pas ce qu’on lui demande, ou qui en a peu, ou qui craint d’en donner, de peur d’en manquer ensuite. Veux-tu savoir comment Dieu répandra sur toi sa miséricorde ? Toi-même, répands la charité, et vois si tu peux t’épuiser en la répandant. Quelle richesse alors dans la charité suprême, s’il en est tant dans son image !
29. C’est donc à cette charité que nous vous engageons principalement, mes frères, non seulement entre vous, mais à l’égard de ceux qui sont dehors, soit des païens, qui ne croient pas encore au Christ, soit de nos frères séparés, qui confessent avec nous le même chef, mais qui se divisent de corps. Plaignons, mes bien-aimés, plaignons ces derniers comme des frères ; car ils sont vraiment nos frères, qu’ils le veulent ou non. Ils ne cesseront d’être nos frères qu’en cessant de dire à Dieu : « Notre Père »[5]. Le Prophète a dit de quelques-uns : « A ceux qui vous disent : Vous n’êtes point nos frères, répondez : Et vous, vous êtes nos frères »[6][7]. Voyez de qui il pouvait parler ainsi : était-ce des païens ? non, car nous ne les appelons pas nos frères selon les Écritures et dans le langage de l’Église. Était-ce des Juifs qui ne croient pas en Jésus-Christ ? Lisez saint Paul, et vous verrez que quand il emploie le mot frères sans y rien ajouter, il veut désigner les chrétiens. « Un frère ou une sœur », dit-il en parlant du mariage, « n’ont plus d’engagement en

  1. Ps. 32,20
  2. Mt. 24,18
  3. Ps. 32,21
  4. Ps. 32,22
  5. Mt. 6,9
  6. Isa. 66,5
  7. juxta LXX