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j’ai été conçu dans l’iniquité »[1]. Mais il le vit Celui qui vint avec la grâce. Que dis-je, il le vit ? il en eut pitié. Le Sauveur donc relève cet homme sans artifice, pour nous relever le prix de la grâce qui est en lui. « Je te voyais, quand tu étais sous le figuier ». Je t’ai vu, qu’y a-t-il là de si grand, si l’on n’y découvre quelque mystère ? Qu’y a-t-il de si grand en effet à voir un homme sous un arbre ? Si le Christ n’avait vu le genre humain sous ce figuier, ou bien nous serions entièrement desséchés, ou bien, non plus que chez ces Pharisiens, qui étaient fourbes, c’est-à-dire dont les paroles étaient justes et dont les actes étaient pervers, on ne trouverait chez nous que des feuilles et non des fruits. Le Christ en effet maudit et fit sécher le figuier qu’il trouva en cet état. Je ne vois, dit-il, que des feuilles, ou plutôt des paroles et aucun fruit : « Qu’il se dessèche donc entièrement et ne porte pas même de feuilles »[2]. Pourquoi des paroles encore ? Un arbre sec n’a même plus aucune feuille. Tels étaient les Juifs ; cet arbre était les Pharisiens, qui avaient des paroles et non point des actes ; l’arrêt du Seigneur les condamne à se dessécher. Que le Seigneur nous aperçoive donc sous le figuier : tant que nous sommes en cette vie, qu’il voie en nous le fruit des bonnes œuvres, afin que sa malédiction ne nous fasse point dessécher. Et comme tout nous vient de sa grâce et non point de nos mérites « Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont couverts ». Non ceux chez qui l’on trouve des péchés, mais ceux dont les péchés sont couverts, dont les fautes sont cachées, effacées, anises en oubli. Si Dieu a effacé leurs péchés, il ne veut plus les voir ; s’il ne veut plus les voir, il ne veut point les punir ; s’il ne veut point les punir, il ne veut point les connaître, mais plutôt fermer les yeux sur eux. « Bienheureux ceux dont les fautes sont remises, dont les péchés sont couverts ». Si le Prophète a dit que ces péchés sont couverts, gardez-vous de croire que ces péchés soient encore existants et vivants. Pourquoi dit-il qu’ils sont couverts ? parce qu’ils ne sont plus visibles. Car, en Dieu, voir le péché, n’est-ce point le punir ? Et afin de nous faire comprendre que, pour Dieu, voie le péché c’est le punir que, lui dit le Prophète ? « Détournez vos yeux de mon péché »[3]. Qu’il ne voie donc plus tes péchés, afin de te voir toi-même. Comment te verra-t-il ? Comme il vit Nathanaël : « Je t’ai vu, quand tu étais sous le figuier »[4]. L’ombre du figuier n’est point impénétrable aux yeux de la divine miséricorde.
10. « Et dont la bouche ne recèle aucun déguisement »[5]. Mais ceux qui reculent devant l’aveu de leurs fautes, font d’inutiles efforts pour les cacher. Plus ils s’efforcent de se défendre du péché, en faisant valoir leurs mérites, et en s’aveuglant sur leurs iniquités, plus s’énerve leur force et leur courage. Celui-là est véritablement fort qui a mis sa force en Dieu et non point en lui-même. Aussi saint Paul disait-il : « Trois fois j’ai prié le Seigneur d’éloigner de moi (cet ange de Satan) ; et il m’a répondu : Ma grâce te suffit. Ma grâce », a-t-il dit, et non point ta force. « Ma grâce te suffit », dit-il, « car c’est dans la faiblesse que se perfectionne la force ». De là vient que l’Apôtre, à son tour, nous dit plus loin : « Quand je suis faible, c’est alors que je deviens fort »[6]. Donc celui qui se prétend fort, qui se relève à ses yeux, qui vante ses mérites, quelque grands qu’ils puissent être, est semblable au pharisien, qui se vantait avec faste des dons qu’il reconnaissait avoir reçus de Dieu : « Je vous rends grâces »[7], dit-il, Voyez, mes frères, quel orgueil Dieu nous met sous les yeux : il est tel, qu’un homme juste pourrait y tomber, tel, qu’il peut se glisser chez l’homme dont on a la meilleure espérance. « Je vous rends grâces », disait-il. Donc en disant : « Je vous rends grâces n, il avouait qu’il avait reçu de Dieu ce qui était en luit « Qu’avez-vous, que vous n’ayez pas reçu[8]? » Donc « je vous rends grâces », dit-il ; « je vous rends grâces, de ce que je ne suis point comme les autres hommes, qui sont voleurs, injustes et adultères, ni même comme ce publicain »[9]. En quoi consiste donc l’orgueil de cet homme ? Non pas à rendre grâces à Dieu du bien qu’il trouve en lui, mais à abuser de ces mêmes biens pour se préférer aux autres.
11. Prenons bien garde à ceci, mes frères ; car l’Évangéliste a soin de préciser à quel propos le Seigneur a fait cette parabole. Le Christ avait dit : « Pensez-vous que le Fils de l’homme, venant sur la terre, y trouvera de la foi[10] ? »

  1. Ps. 50,7
  2. Mt. 21,19
  3. Ps. 50,2
  4. Jn. 1,48
  5. Ps. 31,2
  6. 2 Cor. 12,8-10
  7. Lc. 18,11
  8. 1 Cor. 4,7
  9. Lc. 18,11
  10. Lc. 18,8