Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/283

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’obtenir[1]. Ce n’est donc pas maintenant que doivent se taire les lèvres des impies. Mais quand ? Quand leurs iniquités s’élèveront contre eux pour les confondre, ainsi qu’il est écrit dans la Sagesse : « Alors les justes se tiendront avec une grande fermeté contre ceux qui les ont tourmentés. Ceux-ci diront à leur tour : Voilà donc ceux que nous avons couverts d’insultes et d’outrages. Les voilà comptés parmi les enfants de Dieu, et leur partage est avec les saints ! Insensés que nous étions, nous regardions leur vie comme une folie »[2]. Alors seront réduites au silence les lèvres de ceux qui, avec le mépris de l’orgueil, profèrent l’outrage contre le juste. Aujourd’hui ils vous disent : Où est votre Dieu ? Qu’est-ce que vous adorez ? Que voyez-vous ? Vous croyez et votas souffrez ; votre peine, voilà ce qui est certain ; mais votre espérance est incertaine. Mais elles se tairont, ces lèvres menteuses, quand nous aurons recueilli ce bien qui est certain, et que nous espérons.
6. Considère alors ce qu’ajoute le Prophète, après avoir imposé silence aux lèvres menteuses qui profèrent avec mépris et dédain l’outrage contre le juste. Celui qui gémit de la sorte a considéré lui-même et ers esprit, de l’œil intérieur il a vu les biens de Dieu, il a vu ces biens qui ne se voient que dans le secret, et que l’impie ne saurait voir. Il a vu dès lors ces impies distiller l’outrage contre le juste avec un orgueilleux dédain, parce qu’ils n’ont des yeux que pour les biens du monde, et nullement pour les biens à venir qu’ils ne savent pas même se figurer en pensée, Mais pour faire apprécier aux hommes les biens à venir, tandis qu’il nous ordonne le tolérer seulement et non d’aimer ceux de cette vie, le voilà qui s’écrie : « Combien est grande, ô mon Dieu, votre douceur ! »[3] Que l’impie me demande ici : Où est donc ce trésor de douceur ? Je lui répondrai : Comment pourrais-je montrer ce trésor de douceur, quand la fièvre de l’iniquité t’a fait perdre le goût ? Si tu ne connaissais le miel, tu n’en vanterais pas la douceur avant de l’avoir goûté. En, ton cœur n’a plus de palais pour goûter ces sortes de biens ; que faire alors ? Comment te les montrer ? Je ne vois personne à qui je puisse dire : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux[4]. Combien est grand, ô mon Dieu, le trésor de douceur que vous avez « caché pour ceux qui vous craignent ! »[5] Qu’est-ce à dire « caché ? » Que vous leur réservez et non que vous refusez, de sorte qu’eux seuls peuvent y arriver ; car c’est un bien qui ne peut être commun aux bons et aux méchants ; et ces premiers y arrivent par la crainte. Tant qu’ils ont la crainte, ils n’y sont point arrivés encore ; mais ils espèrent y arriver, et ils commencent par la crainte. Rien n’est plus doux qu’une sagesse impérissable ; mais le commencement de toute sagesse est la crainte du Seigneur[6]. Et cette sagesse, « vous la réservez à ceux qui vous craignent. »
7. « Vous l’avez fait sentir à ceux qui espèrent en vous, en présence des fils des hommes »[7]. Non point : vous l’avez fait sentir en présence des fils des hommes, mais bien « à ceux qui espèrent en vous en présence des fils des hommes » ; c’est-à-dire, vous avez fait goûter votre douceur à ceux qui espèrent en vous devant les enfants des hommes. C’est en ce sens que le Seigneur a dit : « Celui qui renonce à moi devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père »[8]. Donc si tu espères dans le Seigneur, espère devant les hommes ; ne cache point ton espérance au fond de ton cœur, ne crains pas de confesser que tu es chrétien, même devant ceux qui t’en font un crime. Mais à qui fait-on un crime aujourd’hui d’être chrétien ? Il y a si peu d’hommes qui ne le soient point, qu’il nous sied mieux de leur reprocher de ne l’être pas, qu’à eux de nous reprocher de l’être. J’ose néanmoins vous le dire, mes frères : commence, ô toi qui m’écoutes, commence à vivre en chrétien, et vois si tu n’en recevras pas des reproches, de ces chrétiens qui sont chrétiens de nom seulement, et non par la vie et les mœurs. Personne ne comprend mes paroles, s’il n’en a fait l’expérience. Écoute donc bien mes paroles, et fais-y réflexion. Veux-tu vivre en chrétien ? veux-tu suivre les traces de ton Sauveur ? Que l’on t’en fasse un crime et tu en rougis, et cette fausse honte te fait tout abandonner. Te voilà hors du bon chemin. Il te semble que tu crois de cœur pour être justifié, mais tu as perdu ceci : « Il faut confesser de bouche pour arriver au salut »[9]. Si donc

  1. Lc. 16,24
  2. Sag. 5,1-5
  3. Ps. 30,20
  4. Id. 33,9
  5. Ps. 30,20
  6. Prov. 1,7 ; Ps. 110,10
  7. Ps. 30,20
  8. Mt. 10,33
  9. Rom. 10,10