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ne plaise ! Il n’y a d’autre prince de ce monde que celui qui l’a créé. De quel monde veut donc parler l’Apôtre ? De ceux qui aiment monde. Aussi a-t-il ajouté comme explication : « Ce que j’appelle monde, ce sont ses ténèbres ». Quelles sont ces ténèbres, sinon les impies et les infidèles ? Et en effet, quand ils ont quitté leur état d’infidélité et d’impiété pour devenir pieux et fidèles, l’Apôtre leur parle ainsi : « Vous n’étiez autrefois que ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur : et vous avez à combattre » leur dit-il, « contre les esprits de malice répandus dans les airs, contre le diable et ses anges »[1]. Vous ne voyez pas vos ennemis et vous les surmontez, « Arrachez-moi, Seigneur, aux mains de mes ennemis et de mes persécuteurs ».
3. « Projetez sur votre serviteur le reflet de votre face, et sauvez-moi dans votre miséricorde »[2]. Nous avons dit hier[3], si toutefois ceux qui ont entendu le discours d’hier s’en souviennent, que les principaux persécuteurs de l’Église sont les chrétiens qui refusent de vivre selon la foi. Ils sont l’opprobre de l’Église et lui font subir la violence de leur haine : qu’on les reprenne, qu’on les empêche de vivre dans le désordre, qu’on leur donne le moindre avertissement, aussitôt ils trament nue vengeance dans leurs cœurs et cherchent l’occasion d’éclater. C’est au milieu de ces chrétiens que gémit le Prophète, ou plutôt nous gémissons nous-mêmes : car ils sont nombreux, et c’est à peine si, dans cette grande foule, on peut discerner quelques fidèles, amine dans l’aire on voit peu de ce bon grain que le van doit séparer de la paille, afin qu’il remplisse les greniers du Seigneur[4]. C’est donc au milieu d’eux qu’il dit en gémissant : « Projetez sur votre serviteur le reflet de votre face ». On regarde volontiers somme un opprobre que tous les chrétiens, et ceux qui vivent saintement, et ceux qui vivent dans le désordre, portent le même nom, soient tous marqués d’un même sceau, s’approchent tous d’un même autel, soient tous purifiés dans un même baptême, redisent tous la même oraison dominicale et assistent tous à la célébration des mêmes mystères. Quand pourra-t-on connaître ceux qui gémissent et ceux pour qui l’on gémit, si Dieu ne projette sur son vrai serviteur le reflet de sa face ? Mais que signifie : « Projetez sur votre serviteur le reflet de votre face ? » Faites voir que je vous appartiens ; et que le chrétien impie ne puisse dire qu’il vous appartient, car alors le psalmiste aurait dit en vain : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle d’un peuple impie »[5]. Ces mots : « Séparez ma cause », ont le même sens que : « Projetez sur votre serviteur la lumière de votre face ». Et néanmoins, pour effacer tout orgueil, ou toute volonté de faire valoir sa propre justice, il ajoute ces paroles : « Sauvez-moi dans votre miséricorde » ; c’est-à-dire, non point à cause de ma justice non plus que de mes mérites, mais « par votre miséricorde » ; non que j’en sois digne, mais parce que vous êtes miséricordieux. Ne me traitez point avec la sévérité d’un juge, mais avec votre bonté inépuisable pour le pardon. « Sauvez-moi dans votre miséricorde ».
4. « Seigneur, je ne serai pas confondu, parce que je vous ai invoqué »[6]. Le Prophète nous donne la grande raison pour laquelle il ne sera point confondu, « c’est qu’il vous a invoqué, ô mon Dieu ». Voulez-vous frustrer dans son espoir celui qui vous implore ? Voulez-vous que l’on dise : « Où est « donc ce Dieu, l’objet de son espoir ? » Mais quel est l’homme, fût-il impie, qui n’invoque pas le Seigneur ? Si donc le Prophète ne pouvait dire d’une manière plus spéciale, et qui n’a rien de commun avec les autres : « Je vous ai invoqué », il n’oserait aucunement exiger de son invocation une telle récompense. Car il entendrait dans sa pensée cette réponse que lui ferait le Seigneur en quelque manière : Pourquoi me demander de n’être point confondu ? Pour quelle raison ? Parce que tu m’as invoqué ? Mais chaque jour les hommes ne me prient-ils point, afin de venir à bout des adultères mêmes qu’ils méditent ? Dans leurs invocations, n’osent-ils pas appeler la mort sur ceux dont ils convoitent l’héritage ? Chaque jour encore, ne m’invoquent-ils pas pour mener à bonne fin la fraude qu’ils méditent ? Pourquoi donc baser la grande récompense que tu exiges sur cette parole : « Que je ne sois pas confondu, puisque je vous ai invoqué ? » Ils invoquent à la vérité, répond le Prophète, mais ce n’est pas nous qu’ils invoquent. Tu invoques le Seigneur

  1. Eph. 5,8 ; 6,12
  2. Ps. 30,17
  3. Sermon précédent n. 2 et suiv
  4. Mt. 3,12
  5. Ps. 42,1
  6. Id. 30,18