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sauvé. Notre chef est en haut ; il est libre, Attachons-nous à lui par l’amour, afin d’y être plus inséparablement unis par l’immortalité, et disons tous : « Vous me délivrerez de ces pièges qu’ils m’ont tendus en secret, parce que vous êtes mon protecteur »[1].
11. Mais écoutons la parole que le Seigneur prononça sur la croix : « Je remets mon âme entre vos mains »[2]. Quand nus voyons dans l’Évangile que Jésus-Christ répète ces paroles du psaume, ne doutons plus que ce soit lui qui parle ici. Tu lis dans l’Évangile que le Christ a dit : « Je remets mon âme entre vos mains ; et baissant la tête, il rendit l’esprit »[3]. Son dessein, en répétant ces paroles, a été de t’apprendre que c’est lui qui parle dans ce psaume. C’est donc lui qu’il faut y chercher : souviens-toi qu’il a voulu qu’on le cherchât aussi dans cet autre psaume, pour le secours du matin : « Ils ont percé mes mains et mes pieds : ils ont compté mes os, ils m’ont regardé, ils m’ont considéré attentivement, ils se sont partagé mes vêtements, et ont tiré ma robe au sort »[4]. Et pour t’apprendre que c’est en lui que tout cela s’est accompli, il récita le commencement du psaume : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous délaissé ? »[5] Et toutefois c’était au nom de ses membres qu’il parlait ainsi, car jamais le Père n’abandonna son fils unique. « Vous m’avez racheté, Seigneur, Dieu de vérité ». Vous êtes le Dieu de vérité, car vous faites ce que vous avez promis, et nulle de vos promesses n’est sans effet.
12. « Vous haïssez ceux qui s’attachent inutilement à la vanité ». Qui s’attache à la vanité ? Celui qui meurt par la crainte de la mort. La crainte de la mort le fait mentir, et il meurt avant même de mourir, lui qui ne mentait qu’afin de vivre. Tu mens, pour ne pas mourir, et alors tu as le mensonge et la mort : en voulant te dérober à une mort que tu peux différer un peu, mais non éviter, tu encours une double mort, celle de l’âme, et ensuite celle du corps. D’où vient ce malheur, sinon de ton attachement aux vanités ? C’est que ce jour qui fuit a de l’attrait pour toi, tu fais tes délices du temps qui s’envole, dont tu ne peux rien retenir, qui au contraire t’emporte avec lui. « Vous haïssez ceux qui s’attachent sans profit à la vanité. » Pour moi, qui n’aime point la vanité, je mets en Dieu mon espoir. Tu espères dans ton argent, c’est t’éprendre de la vanité ; tu espères dans les honneurs, dans le faste de la grandeur humaine, c’est t’éprendre de la vanité ; tu espères dans quelque ami puissant, c’est t’éprendre de la vanité. Quand tu as uni ton espoir en tout cela, ou bien tu l’abandonnes par la mort ; ou, si tu vis, tout vient à périr, et ton espoir est trompé. C’est de cette vanité, que le Prophète Isaïe disait : « Toute chair n’est que de l’herbe, et toute sa gloire n’est que la fleur d’une herbe : l’herbe se dessèche et la fleur tombe, mais la parole du Seigneur demeure éternellement »[6]. Pour moi, loin d’imiter ceux qui espèrent dans la vanité, s’attachent à la vanité, j’ai mis mon espoir en Dieu qui n’est point la vanité.
13. « Je me réjouirai, je triompherai dans votre miséricorde », et non dans ma propre justice. « Car vous avez regardé ma bassesse, vous avez arraché mon âme aux vicissitudes, et vous ne m’avez point resserré entre les mains de mes ennemis »[7]. Quelles sont ces vicissitudes dont nous voulons que notre âme soit délivrée ? qui pourra les énumérer ? qui en dira l’étendue ? qui surtout nous dira combien elles sont à fuir, à éviter ? Une première peine, et peine cruelle parmi les hommes, c’est de ne point connaître le cœur du prochain, de soupçonner presque toujours les sentiments d’un ami fidèle, et d’avoir presque toujours bonne opinion d’un ami infidèle. Déplorable nécessité ! Que fais-tu pour voir dans les cœurs ? de quel regard les verras-tu, homme faible et misérable ? Que fais-tu pour voir aujourd’hui le cœur de ton frère ? Tu n’as rien à faire. Mais une misère plus déplorable encore, c’est que tu ne sois pas ce que ton cœur sera demain. Que dirai-je des autres misères de notre nature ? Il nous faut mourir, et nul ne veut mourir. Nul ne veut ce qui doit lui arriver de gré ou de force. Déplorable condition, de rejeter ce que l’on ne saurait éviter. Car si nous le pouvions, nous ne consentirions jamais à mourir : nous souhaiterions de devenir comme les anges, mais par un certain changement, et non en passant par la mort, comme l’a dit l’Apôtre : « Dieu nous donnera une autre maison, Une maison qui ne sera point faite par la main des hommes, une maison éternelle dans le ciel. C’est pourquoi nous gémissons, désirant être

  1. Ps. 30,5
  2. Id. 6
  3. Lc. 23,46 ; Jn. 19,30
  4. Ps. 21,17-19
  5. Id. 2
  6. Isa. 11,6
  7. Ps. 30,8