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parce qu’en Jésus-Christ tous les hommes ne font qu’un seul homme, et que tous les chrétiens unis ne forment qu’un seul homme. Peut-être est-ce l’homme lui-même, l’unité chrétienne qui dit : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez relevé, et que vous n’avez pas permis que mes ennemis aient la joie de ma ruine ». Mais comment cela peut-il être vrai à leur sujet ? Les Apôtres n’ont-ils pas été saisis, frappés, battus de verges, mis à mort, cloués à la croix, brûlés vifs, condamnés aux bêtes, ces hommes dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire ? Quand les hommes les traitaient de la sorte, ne tressaillaient-ils pas de leur ruine ? Comment donc le peuple chrétien même peut-il dire : « Je vous exalterai, ô Dieu, parce que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine ? »
6. Nous le comprendrons si nous nous arrêtons au titre du psaume. Ce titre est en effet : « Pour la fin, psaume pour David, chanté « à la dédicace de son palais »[1]. C’est dans ce titre que nous espérons trouver le secret d’élucider cette question. Un jour sera dédié cet édifice que l’on construit aujourd’hui. Cet édifice qui est l’Église se construit maintenant, plus tard on en fera la dédicace ; or, à cette dédicace éclatera la splendeur du peuple chrétien, splendeur cachée aujourd’hui. Laissons donc nos ennemis sévir contre nous, et nous humilier, faire non plus ce qu’ils veulent, mais ce que Dieu leur permet. Il ne faut pas attribuer à nos ennemis tout le mal qu’ils nous font endurer ; il nous vient quelquefois du Seigneur notre Dieu. Car le Médiateur nous a montré par son exemple que quand il permet que les hommes nous nuisent, il ne leur en donne point la volonté, mais seulement le pouvoir. Tout méchant trouve eu lui-même la volonté de nuire ; mais la puissance de nuire n’est point abandonnée à sa discrétion. Cette volonté le rend coupable ; mais la puissance du mal lui vient des dispositions mystérieuses de la Providence divine, qui lui permet d’agir, afin de châtier l’un, de mettre l’autre à l’épreuve, de couronner un troisième. De châtier les uns, comme il permit autrefois aux étrangers, en grec allophuloi, d’asservir le peuple d’Israël, qui avait péché contre son Dieu[2]. De mettre les autres à l’épreuve, comme il permit au diable de tenter Job[3]. A Job le triomphe, au démon la honte. De couronner les autres, comme il livra les martyrs aux persécuteurs. Les martyrs furent égorgés, et leurs bourreaux se crurent vainqueurs : ceux-ci obtinrent aux yeux du monde un faux triomphe, ceux-là une couronne invisible, mais réelle. Donc le pouvoir des méchants entre dans les vues de la Providence divine ; mais la volonté de nuire appartient à l’homme, qui ne donne pas toujours la mort comme il le voudrait.
7. Voilà donc le Seigneur lui-même, juge des vivants et des morts, qui se présente à la barre d’un tribunal, devant un homme ; ce n’est pas un vaincu, mais il veut apprendre à tout soldat la manière de combattre ; et quand le juge lui dit, avec une menace pleine d’orgueil : « Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de t’absoudre ou de t’envoyer à la mort ? » il réprime cette insolence, par une réponse qui doit lui ôter toute enflure : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi », lui dit-il, « s’il ne t’était donné d’en haut »[4]. Et Job, dont le diable venait de tuer les enfants et de dissiper tous les biens, que répond-il ? « Dieu a donné, Dieu a ôté ; ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni »[5]. Que l’ennemi ne s’applaudisse point de son œuvre : pour moi, dit-il, je sais qui lui en adonné le pouvoir ; au démon la volonté de nuire, mais à Dieu le pouvoir d’éprouver les hommes. Quand son corps est couvert de plaies, voici venir sa femme, qui lui est laissée, comme une autre Eve, pour venir en aide au démon, non pour consoler son Époux ; elle essaie de l’ébranler, et lui dit, parmi ses outrages : « Parlez contre Dieu et mourez »[6]. Et ce nouvel Adam fut plus ferme sur son fumier, que le premier dans le paradis. Le premier Adam prêta l’oreille à sa femme[7], dans ce paradis, dont il se fit chasser. Le second Adam, sur son fumier, repoussa la femme, et mérita d’entrer dans le paradis. Et ce nouvel Adam, assis sur son fumier, qui enfantait l’immortalité au dedans, quant au-dehors il était la pâture des vers, que dit-il à sa femme ? « Tu as parlé comme une femme insensée : « si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas accepter les maux[8] ? » Il dit encore que c’est la main de Dieu qui est sur lui, quand c’est le diable qui

  1. Ps. 29,1
  2. Jug. 10,7 ; 13,1
  3. Job. 1,12
  4. Jn. 19,10-11
  5. Job. 1,21
  6. Id. 2,9
  7. Gen. 3,4
  8. Job. 2,10