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sinon à celui qui n’est visible qu’aux yeux du cœur ? La lumière sensible est pour les yeux du corps, mais la lumière divine pour ceux du cœur. Or, voulez-vous voir cette lumière qui est faite pour les yeux du cœur ? car c’est Dieu lui-même, comme l’a dit saint Jean. « Dieu est lumière, et il n’y a point de ténèbres en lui »[1] ; voulez-vous donc voir cette lumière ? Purifiez l’œil qui la voit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu. »[2]
16. « Mon cœur vous a dit : J’ai cherché votre face ; c’est votre face, ô mon Dieu, que je rechercherai ». Je n’ai fait au Seigneur qu’une seule demande, et je la ferai toujours, c’est de voir votre face : « Ne détournez donc point de moi votre visage » Voyez comme il s’arrête à cette unique demande : Voulez-vous aussi l’obtenir ? N’en faites aucune autre. Fixez-vous uniquement à celle-là, puisque seule elle vous suffira. « Mon cœur vous a dit : J’ai cherché votre face ; et cette face, ô mon Dieu, je la rechercherai. Ne détournez point de moi votre visage : dans votre colère, ne vous détournez point de votre serviteur »[3]. On ne pouvait rien dire de plus magnifique et de plus divin. Ils comprennent, ceux qui l’aiment véritablement. Tout autre mettrait son bonheur à jouir sans fin de ces biens terrestres qu’il aime par-dessus tout : il n’offrirait à Dieu ses adorations et ses prières qu’afin d’en obtenir de vivre longtemps dans ces délices, de ne perdre aucun objet de ses affections terrestres, ni son or, ni son argent, aises domaines dont la vue peut lui procurer une jouissance, de ne voir mourir ni ses amis, ni ses enfants, ni son Épouse, ni ses clients ; il voudrait toujours vivre dans la possession de ses biens. Mais parce qu’il ne le peut toujours, et qu’il sait qu’il mourra, dans le culte qu’il rend à Dieu, dans ses prières, liasses gémissements, il se contentera peut-être de lui demander ces biens pendant toute sa vieillesse. Que Dieu lui dise : Je te fais immortel avec ces biens ; il acceptera l’immortalité comme un grand bienfait, et il ne pourrait contenir les transports de sa joie. Tel n’est point le désir de celui qui n’a fait au Seigneur qu’une seule demande. Que peut-il donc souhaiter ? de contempler la beauté du Seigneur, tous les jours de sa vie. De même encore celui qui, dans le service de Dieu, ne se proposerait aucun autre but et ne craindrait, dans la colère de Dieu, que de perdre quelqu’un des biens temporels qu’il pourrait posséder. Ce n’est point là ce que craint celui qui parle ici, puisqu’il permet à ses ennemis « de manger sa chair »[4]. Que craint-il donc de la colère de Dieu ? Qu’elle ne le prive de l’objet de son amour. Qu’a-t-il aimé ? Votre face, ô mon Dieu. Il regarderait comme un effet de la colère divine que le Seigneur détournât de lui son visage : « Ne vous détournez point de votre serviteur dans votre colère »[5]. On pourrait peut-être lui répondre : Pourquoi redouter qu’il se détourne de toi dans sa colère ? S’il se détournait de toi dans sa colère, tu aurais moins à craindre ses vengeances ; et si tu tombes entre ses mains dans sa colère, il la déchargera sur toi. Tu dois donc souhaiter qu’il se détourne de toi dans sa colère. Non, répond-il, car il sait ce qu’il souhaite. La colère de Dieu, pour lui, c’est de lui dérober sa face. Mais si Dieu te rendait immortel au milieu de ces délices et de ces joies voluptueuses ? Ce n’est point là ce que je désire, nous répond le chaste ami de Dieu ; tout ce qui n’est point lui-même n’a aucune douceur pour moi. Loin de moi tout autre don que le Seigneur voudrait me faire qu’il se donne à moi lui-même. « Ne vous détournez point de votre serviteur, dans votre colère ». Quelquefois le Seigneur se détourne de nous, mais sans colère aussi, plusieurs lui disent-ils : « Détournez votre visage de mes péchés »[6]. Détourner sa face de tes péchés, ce n’est donc point se détourner de toi dans sa colère. Qu’il détourne donc sa face de vos péchés, mais non de vous.
17. « Soyez mon aide, ne m’abandonnez pas »[7], car je suis dans la voie ; je vous ai demandé uniquement d’habiter dans votre maison, tous les jours de ma vie, de contempler vos beautés, et d’être protégé comme votre temple. C’est là l’unique bien que je demande, et je suis dans la voie qui y conduit. Peut-être me direz-vous : Efforce-toi, marche, je t’ai donné le libre arbitre, tu as ta volonté ; marche dans la voie, aime la paix, recherche-la ; garde-toi de t’écarter du chemin[8], de t’arrêter en chemin, de regarder en arrière : marche avec persévérance, parce que « celui-

  1. Jn. 1,5
  2. Mt. 5,8
  3. Ps. 26,9
  4. Ps. 26,2
  5. Id. 9
  6. Ps. 70,11
  7. Id. 26,9
  8. Id. 32,15