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des autres n. Mes péchés, dit-il, me souillent, et ceux des autres me contristent ; épargnez-moi les uns et purifiez-moi des autres. Enlevez de mon cœur toute pensée mauvaise, éloignez de moi ce qui inspire le mal. Voilà ce que signifie : « Purifiez-moi de mes fautes cachées, épargnez à votre serviteur les péchés des autres[1] ». Telles sont en effet les deux sortes de péchés qui ont paru d’abord, au commencement du monde, les nôtres et ceux des autres. Le diable est tombé par son propre péché[2], Adam par celui d’un autre[3]. De là vient que le serviteur de Dieu, qui observe les jugements de Dieu et y trouve une ample récompense, prie ainsi dans un autre psaume : « Que l’orgueil n’entre point en moi ; que la main du pécheur ne m’ébranle point[4] ». « Que l’orgueil donc n’entre point en moi », c’est-à-dire, purifiez-moi de mes fautes cachées ; et que la main du pécheur ne m’ébranle point », c’est-à-dire, épargnez à votre serviteur les péchés des autres.
14. « Si » mes fautes cachées et les péchés des autres « ne me dominent plus[5], alors je serai sans tache ». Il n’ose point l’espérer de ses propres forces, mais il supplie le Seigneur de l’accomplir, et lui dit dans un autre psaume : « Dirigez mes pas selon votre parole, et ne permettez pas que l’iniquité domine jamais en moi[6] ». Tu es chrétien, et dès lors garde-toi de craindre la domination extérieure d’un homme ; crains toujours le Seigneur ton Dieu. Crains le mal qui est en toi, ou les passions ; non point ce que le Seigneur a tait en toi, mais ce que toi-même y as fait. Le Seigneur t’avait créé bon serviteur, et toi, tu t’es créé dans ton cœur un maître méchant. C’est justement que tu es soumis à l’iniquité, soumis au maître que tu t’es imposé toi-même, puisque tu n’as pas voulu servir celui qui t’a créé.
15. « Si donc je ne suis plus esclave de leur tyrannie, alors je serai sans tache et pur d’un grand crime[7] ». De quel crime, pensez-vous ? Quel est ce grand péché ? Il peut n’être pas ce que je vais dire, et toutefois je ne déguiserai point mon opinion ; ce grand crime, à mon avis, c’est l’orgueil. C’est là peut-être ce qu’il exprime en d’autres termes, en disant : « Et je serai pur d’un grand crime ». Me demanderez-vous combien est grand le crime qui a fait tomber l’ange, qui a changé cet ange en démon, et lui a fermé pour toujours le royaume des cieux ? C’est là le grand crime, la source, l’origine de tous les crimes. Car il est écrit : « Le commencement de tout péché, c’est l’orgueil[8] ». Et de peur qu’on ne le regarde comme une faute légère, l’Écriture ajoute : « Le commencement de l’orgueil chez l’homme est de lui faire apostasier Dieu[9] ». Non, mes frères, ce vice n’est point une faute légère ; c’est à ce vice que répugne l’humilité chrétienne, chez les grands personnages que vous voyez. C’est ce vice qui leur fait dédaigner de courber la tête sous le joug du Christ, eux qui sont asservis au joug du péché. Car ils ne peuvent échapper à la servitude ; ils se veulent affranchir de la servitude, quand il leur est avantageux de servir. Ce qu’ils gagnent en cherchant l’indépendance, c’est de refuser de servir un bon maître, mais non de s’affranchir complètement ; car on devient nécessairement esclave du péché, quand on ne veut point l’être de la charité. Ce vice, que l’on peut appeler la source de tous les autres, puisque les autres lui doivent leur origine, nous a fait apostasier Dieu ; et l’âme, par un déplorable usage de sa liberté, se plonge dans les ténèbres, chargée qu’elle es-t de toute sorte de péchés. Voilà qu’il vit dans la prodigalité, il dissipe ses richesses avec les femmes sans pudeur, il devient le pâtre des pourceaux[10], celui qui était le compagnon des anges. C’est à cause de ce vice, de cette grande iniquité de l’orgueil que Dieu s’est humilié parmi les hommes. Tel est le motif, telle est la plaie profonde, la grande maladie des âmes, qui a fait descendre du ciel le Médecin tout-puissant, qui l’a humilié sous la forme de l’esclave, qui l’a outragé, suspendu au gibet, afin qu’une semblable tumeur trouvât sa guérison dans un si grand remède. Que l’homme donc rougisse de son orgueil, quand un Dieu s’est fait humble pour lui. Alors, dit le Prophète, « je serai pur d’un grand péché », devant le « Dieu qui résiste aux orgueilleux et qui donne la grâce aux humbles[11] ».
16. « Ainsi vous deviendront agréables les paroles de ma bouche, et les pensées de mon cœur seront toujours en votre présence[12] ». Car si je ne suis point purifié de

  1. Ps. 18,14
  2. Isa. 14,12
  3. Gen. 3
  4. Ps. 35,12
  5. Ps. 18,14
  6. Id. 118,133
  7. Ps. 18,14
  8. Sir. 10,15
  9. Id. 14
  10. Lc. 15,13
  11. Ps. 18,15
  12. Ps. 18,15