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nous comprenons aussi tous les hommes qui vivent saintement dans l’Église ou sous les pressoirs, et qui sont désignés maintenant sous la figure de la lune et des étoiles.
13. « Et même les animaux des champs ». Et même, n’est point inutile ici. D’abord, parce que ces troupeaux des champs peuvent s’entendre des brebis et des bœufs ; car si les chèvres sont les animaux des rochers et des lieux escarpés, les brebis et les bœufs seront les animaux des campagnes. Donc, après avoir énuméré « les brebis, les bœufs, et les animaux des champs », on peut fort bien se demander quels sont ces animaux des champs, – puisque l’on peut désigner ainsi les brebis et les bœufs. Mais l’expression, « et même, insuper », nous force à y trouver je ne sais quelle différence ; et cette expression, « et même », embrasse non seulement les animaux des champs, mais les oiseaux du ciel, les poissons de la mer, qui parcourent les sentiers de l’abîme. Quelle est donc cette différence ? Rappelons-nous les pressoirs, où le vin est mêlé au marc, et l’aire qui contient la paille et le froment[1], et les filets qui renferment de bons et de mauvais poissons[2], et l’arche de Noé, qui abrite des animaux purs et des animaux impurs[3] ; et vous verrez que l’Église ici-bas, jusqu’au jour du jugement, renferme non seulement des brebis et des bœufs, c’est-à-dire de saints laïques et de saints ministres, mais « encore des animaux des champs, des oiseaux du ciel, des poissons de la mer, qui parcourent les sentiers de l’abîme ». Ces animaux des champs figurent très bien les hommes qui mettent leur joie dans les voluptés charnelles, où ils n’ont rien d’escarpé, rien de fatigant à gravir. On peut appeler campagne, cette voie large qui conduit à la mort[4] ; Abel fut tué dans la campagne[5]. Aussi devons-nous craindre qu’en descendant ces montagnes de la justice divine, dont le Prophète a dit : « Votre justice, ô Dieu, est comme les plus hautes montagnes », pour nous mettre à l’aise dans les facules voluptés de la chair, nous ne soyons égorgés par le démon. Maintenant, dans ces oiseaux du ciel voyons les orgueilleux, dont il est dit « Ils opposent leur bouche au ciel[6]. Voyons-les s’élever à des hauteurs comme sur l’aile des vents, ceux qui disent : « Nous glorifierons notre parole, nos lèvres sont indépendantes, qui dominera sur nous[7] ? » Voyez encore dans les poissons de la mer, ces curieux qui parcourent sans cesse les sentiers de l’abîme, ou qui cherchent dans le gouffre du siècle les biens temporels : biens futiles, qui doivent périr aussi promptement que les sentiers tracés sur la mer disparaissent, quand l’eau se rejoint après avoir livré passage au vaisseau qui fuyait, ou à tout autre nageur. Le Prophète ne dit pas seulement qu’ils parcourent ces sentiers de l’abîme, mais qu’ils les parcourent sans cesse, perambulans, pour montrer leur infatigable obstination à rechercher des choses futiles et peu durables. Ces trois vices capitaux, la volupté charnelle, l’orgueil, la curiosité, renferment tous les péchés. Saint Jean me paraît les énumérer en disant : « Gardez-vous d’aimer le monde, car tout ce qui est dans le monde, est convoitise de la chair, convoitise des yeux, ambition du siècle[8] ». C’est dans les yeux que règne la curiosité. Il est facile de voir à quoi se rapportent les autres convoitises. Telle fut aussi la triple tentation de l’Homme-Dieu, par la nourriture, ou l’appétit de la chair, quand le démon lui dit : « Faites que ces pierres se changent en pain[9] » ; par la vaine gloire, alors qu’il le porta sur une haute montagne pour lui montrer et lui promettre tous les royaumes de la terre, s’il veut l’adorer ; par la curiosité, quand il lui suggéra de se précipiter du haut du temple, afin de voir si les anges le soutiendraient. Et comme cet ennemi ne put faire prévaloir aucune de ces suggestions, il est dit dans l’Évangile, « que Satan épuisa toute tentation[10] ». Dans le sens des pressoirs, tout est mis sous les pieds de Jésus-Christ, non seulement le vin, mais le marc ; non seulement les brebis et les bœufs, c’est-à-dire les âmes saintes des fidèles, soit dans le peuple chrétien, soit chez les ministres, mais encore les animaux de la volupté, les oiseaux de l’orgueil, les poissons de la curiosité. Or, ces sortes de pécheurs, nous en sommes témoins, sont dans l’Église confondus avec les bons et les saints. Que Dieu donc agisse dans son Église, qu’il sépare du marc le vin pur. Quant à nous, travaillons à devenir un vin excellent, à compter parmi les brebis et les bœufs ; mais ne figurons jamais, ni dans le marc de raisin, ni parmi les animaux des

  1. Mc. 3,12
  2. Mt. 13,47
  3. Gen. 7,8
  4. Gen. 4,8
  5. Ps. 35,7
  6. Id. 72,9
  7. Ps. 11,5
  8. Jn. 2,15-16
  9. Mt. 4,3
  10. Lc. 4,13