Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/158

Cette page n’a pas encore été corrigée

au ciel, on peut dire fort bien que « le Seigneur juge les peuples », puisqu’il en descendra pour juger les vivants et les morts. S’il remonte dans les hauteurs, parce que le péché fait perdre aux fidèles l’intelligence de la vérité, comme il est dit à propos de son avènement : « Pensez-vous que le Fils de l’homme venant en ce monde y trouvera de la foi[1] ? » « Le Seigneur juge encore les peuples ». Mais quel Seigneur, sinon Jésus-Christ ? « Car le Père ne juge personne ; il a donné au Fils le pouvoir de juger[2] ». Voyez alors comme cette âme si parfaite en sa prière, s’émeut peu du jour du jugement, et avec quelle sécurité de désir elle dit à Dieu dans sa ferveur : « Que votre règne arrive[3] », puis : « Jugez-moi, Seigneur, selon votre justice[4] ». Dans le psaume précédent, c’était un infirme qui priait, sollicitant le secours de Dieu bien plus qu’il ne faisait valoir ses propres mérites, car le Fils de Dieu est venu pour appeler à la pénitence tous les pécheurs[5]. Aussi disait-il : « Sauvez-moi, Seigneur, à cause de votre miséricorde[6] », et non à cause de mes mérites. Maintenant que docile à l’appel de Dieu, il a gardé les préceptes qu’il a reçus, il ose bien dire : « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice, et selon mon innocence d’en haut[7]. » La véritable innocence est de ne pas nuire, même à ses ennemis. Il peut donc demander à être jugé selon son innocence, celui qui a pu dire en toute vérité « Si j’ai tiré vengeance de celui qui me rendait le mal[8] ». Cette expression « d’en haut, super me », doit s’appliquer à sa justice aussi bien qu’à son innocence, et alors il dirait : « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice et selon mon innocence, justice et innocence d’en haut » ; expression qui nous montre que l’âme n’a point en elle-même la justice et l’innocence, et qu’elle les reçoit de la lumière dont il plaît à Dieu de nous éclairer. Aussi dit-elle dans un autre psaume : « C’est vous, Seigneur, qui faites briller mon flambeau[9] ». Et il est dit de Jean : « Qu’il n’était point la lumière, mais qu’il rendait témoignage à la lumière[10] , qu’il était une torche enflammée et brillante[11] ». Cette lumière donc, à laquelle nos âmes s’illuminent comme des flambeaux, ne brille point d’un éclat d’emprunt, mais d’un éclat qui lui est propre et qui est la vérité. « Jugez-moi donc », est-il dit, « selon ma justice et selon mon innocence d’en haut », comme si la torche allumée et brillante disait : Jugez-moi selon cette splendeur d’en haut, c’est-à-dire qui n’est point moi-même, et dont je brille néanmoins, quand vous m’avez allumée.
9. « Que la malice des pécheurs se consomme[12] ». Cette consommation est ici le comble, d’après cette parole de l’Apocalypse : « Que celui qui est juste le devienne plus encore, et que l’homme souillé se souille davantage[13] ». L’iniquité paraît consommée dans ceux qui crucifièrent le Fils de Dieu, mais elle est plus grande chez ceux qui refusent de vivre saintement, qui haïssent les lois de la vérité, pour lesquelles a été crucifié ce même Fils de Dieu. Que la malice donc des pécheurs se consomme, dit le Prophète, qu’elle s’élève jusqu’à son comble et qu’elle appelle ainsi votre juste jugement. Toutefois, non seulement il est dit Que l’homme souillé se souille encore ; mais il est dit aussi : Que le juste devienne plus juste ; c’est pourquoi le Prophète poursuit en disant : « Et vous dirigerez le juste, ô Dieu qui sondez les cœurs et les reins[14] ». Mais comment le juste peut-il être dirigé, sinon d’une manière occulte ? puisque les mêmes actions que les hommes admiraient dans les premiers temps du christianisme, quand les puissances du siècle mettaient les saints sous le pressoir de la persécution, ces actions, aujourd’hui que le nom chrétien est arrivé à l’apogée de sa gloire, servent à développer l’hypocrisie ou la dissimulation chez des hommes qui sont chrétiens de nom, pour plaire aux hommes plutôt qu’à Dieu ? Dans cette confusion de pratiques hypocrites, comment le juste peut-il être dirigé, sinon par le Dieu qui sonde les reins et les cœurs, qui voit nos pensées, désignées ici sous l’expression de cœur, et nos plaisirs, que désignent les reins ? Le Prophète a raison d’attribuer à nos reins le plaisir que nous font éprouver les biens temporels ; c’est en effet la partie inférieure de l’homme, et comme le siège de cette voluptueuse et charnelle génération, qui perpétue la race humaine, et nous donne cette vie calamiteuse dont les joies sont mensongères. Donc, ce Dieu qui sonde les cœurs et voit qu’ils sont

  1. Lc. 18,8
  2. Jn. 5,22
  3. Mt. 6,10
  4. Ps. 7,9
  5. Lc. 5,32
  6. Ps. 7,5
  7. Id. 7,9
  8. Id. 5
  9. Ps. 17,29
  10. 2 Jn. 1,8
  11. Id. 5,35
  12. Ps. 7,10
  13. Apoc. 22,11
  14. Ps. 7,10