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DISCOURS SUR LE PSAUME 7

LE SILENCE DE JÉSUS-CHRIST.

Ce psaume est le chant de l’âme arrivée à la perfection, et à qui la foi découvre les mystères de la passion inconnus aux Juifs et aux pécheurs actuels. Elle comprend la patience silencieuse de Jésus à l’égard de Judas ; et pourquoi, lui qui était juste, a voulu souffrir.

PSAUME DE DAVID QU’IL CHANTA AU SEIGNEUR, POUR LES PAROLES DE CHUSI, FILS DE GÉMINI.

1. Il est facile de connaître par l’histoire du second livre des Rois, ce qui donna occasion à cette prophétie. Elle nous apprend que Chusi ami du roi David, passa dans les rangs d’Absalon révolté contre son père, afin de reconnaître ses desseins, et de rapporter à David toutes les trames que ce fils ourdissait contre lui avec Achitopel, qui avait trahi l’amitié du père, pour soutenir de tous les conseils qu’il pourrait donner, la révolte du fils. Mais dans ce psaume, il faut envisager l’histoire, moins en elle-même, que comme un voile jeté par le Prophète sur un grand mystère ; levons donc ce voile[1] si nous avons passé au Christ. Cherchons d’abord quel sens peuvent avoir les noms ; car on n’a pas manqué d’interprètes pour les étudier, non plus à la lettre et d’une manière charnelle, mais dans un sens figuré, et pour nous dire que Chusi signifie Silence, Gémini, la Droite, et Achitopel, la Ruine du frère ; dénominations qui ramènent une seconde fois sous nos yeux ce traître Judas, figuré ainsi par Absalon dont le nom signifie Paix de son père. David, en effet, eut toujours des sentiments de paix pour ce fils au cœur plein d’artifices et de rébellion, ainsi qu’il a été dit au psaume troisième[2]. De même que dans l’Évangile nous voyons Jésus-Christ donner le nom de fils à ses disciples[3], nous le voyons aussi les appeler ses frères. Après sa résurrection, le Seigneur dit en effet : « Allez, et annoncez à mes frères[4] ». Saint Paul appelle Jésus-Christ le premier-né de tant de frères[5]. On peut donc désigner la ruine du disciple qui le trahit, sous le nom de ruine du frère, selon le sens que nous avons donné au nom d’Achitopel. Chusi, qui signifie Silence, désigne très bien ce silence que Notre-Seigneur opposait aux perfidies de ses ennemis, ce profond mystère qui a frappé de cécité une partie d’Israël, alors qu’ils persécutaient le Seigneur, jusqu’à ce que la multitude des nations entrât dans l’Église, et qu’ensuite tout Israël fût sauvé. Aussi l’Apôtre, abordant ces secrètes profondeurs, ce redoutable silence, s’écrie, comme frappé d’horreur à la vue de ces mystères : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! combien sont impénétrables ses jugements ; et ses voies incompréhensibles ! qui connaît les desseins de Dieu, et qui est entré dans ses conseils[6] ? » L’Apôtre nous fait donc moins connaître ce profond silence, qu’il ne le recommande à notre admiration. C’est à la faveur de ce silence, que le Seigneur, dérobant le mystère sacré de sa passion, a fait entrer dans les vues de sa providence miséricordieuse, la ruine volontaire du frère, le crime détestable du traître, afin que la mort d’un seul homme, que se proposait le perfide Judas, devînt, par la sagesse ineffable du Sauveur, le salut de tous les hommes. Ce psaume est donc le chant d’une âme parfaite et déjà digne de connaître le secret de Dieu. Elle chante : « Pour les paroles de Chusi », paroles de ce silence qu’elle a mérité de connaître. C’est en effet un silence et un secret pour les infidèles et les persécuteurs du Christ ; pour ceux au contraire à qui Jésus-Christ a dit : « Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, parce que le serviteur ne sait ce que fait son maître ; mais je vous appellerai mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père[7] », pour

  1. 2Co. 3,16
  2. Enarrat. in Ps. 3, n. 1
  3. Mat. 9,15
  4. Jn. 20,17
  5. Rom. 8,29
  6. Rom. 11,33-34
  7. Jn. 15,15