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Mais ce qui est louable ici, c’est moins l’acte que l’intention ; et ceux qui ne mentent plus que de la sorte, mériteront un jour d’être délivrés de tout mensonge. C’est à eux qu’il est dit : « Que votre discours soit : Oui, oui non, non ; car ce qui est de plus, vient du mal[1] ». Ce n’est pas sans raison qu’il est écrit ailleurs : « La bouche qui ment, tue l’âme[2] », afin que nul homme vraiment spirituel ne se croie autorisé à mentir, pour conserver soit à lui-même, soit à d’autres cette vie temporelle, dont la perte ne tue pas notre âme. Toutefois, il y a une différence entre mentir, et cacher la vérité, puisque l’un consiste à dire le faux, l’autre à taire le vrai ; si nous ne voulons pas découvrir un homme à qui l’on veut donner cette mort visible du corps, nous devons avoir l’intention de taire le vrai, mais non de dire le faux, afin de ne rien découvrir, et ne point tuer notre âme par le mensonge, en voulant conserver à un autre la vie du corps. Si nous ne sommes point encore dans ces dispositions, efforçons-nous au moins de ne pas mentir au-delà de ces occasions pressantes, afin que Dieu nous délivre même de ces mensonges légers, et nous donne la force du Saint-Esprit qui nous fera mépriser tout ce que nous aurions à souffrir pour la vérité. Il n’y a que deux sortes de mensonges qui ne soient point de fautes graves, mais qui ne sont point exemptes de tout péché, c’est le mensonge par plaisanterie, et le mensonge pour rendre service. Le mensonge joyeux, n’étant point de nature à tromper, n’est point dangereux. Celui à qui nous parlons comprend bien que c’est un badinage. Le second est encore plus léger, puisqu’il renferme une certaine bonté. Mais ce qui se dit sans duplicité de cœur, ne mérite pas le nom de mensonge. Qu’un homme, par exemple, ait reçu en gage une épée de son ami, avec promesse de la lui rendre quand il la redemandera ; il est évident qu’il ne doit point la rendre à cet ami qui la redemande avec démence, et qui peut s’en servir contre lui-même ou contre les autres ; il faut attendre le calme de la raison. Il n’y a point ici duplicité de cœur, puisqu’en recevant cette épée en gage et en promettant de la rendre, cet ami était loin de croire qu’on la réclamerait dans la démence. Le Seigneur lui-même a jugé bon de taire la vérité, quand il disait aux disciples peu aptes à la recevoir : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire ; mais vous ne pouvez les porter encore[3] » ; saint Paul a dit aussi : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels[4] ». D’où il suit qu’il ne faut pas accuser celui qui se tait sur la vérité. Mais on ne voit point qu’il soit permis aux parfaits de dire ce qui est faux.

8. « Le Seigneur a en horreur l’homme sanguinaire et l’homme fourbe[5] ». On peut très bien voir une répétition de ce qui est dit plus haut : « Vous haïssez ceux qui font le mal, et vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge ». Car « l’homme sanguinaire » peut très bien être l’homme de l’iniquité, et « le fourbe » désigner le menteur. Il y a fourberie quand on agit dans un sens, et que l’on affecte un autre sens. Le Prophète dit que le Seigneur « les aura en abomination » ; expression qui s’applique à ceux que l’on déshérite ; tandis que ce psaume est le chant « de celle qui a reçu l’héritage », et qui témoigne des tressaillements de son espérance en s’écriant : « Quant à moi, avec vos infinies miséricordes, j’entrerai dans votre maison[6] ». Ces miséricordes sans nombre peuvent désigner cette foule d’hommes parfaits et heureux, dont se formera cette cité que l’Église porte dans ses entrailles et qu’elle enfante peu à peu. Comment nier que cette multitude d’hommes régénérés se puisse appeler le nombre infini des miséricordes du Seigneur, puisqu’il est dit avec beaucoup de vérité : « Qu’est-ce que l’homme pour que vous vous souveniez de lui, ou le fils de l’homme pour que vous le visitiez[7] ? » Pour moi, « j’entrerai dans votre maison », comme une pierre entre dans un édifice. Qu’est-ce en effet que la maison de Dieu, sinon son temple, dont il est dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple[8] ? » Et la pierre angulaire de cet édifice[9] est cet homme dont s’est revêtue la force et la sagesse de Dieu, coéternelle au Père.

9. « Je me prosternerai avec crainte auprès de votre saint temple[10] ». Le Prophète a dit : « Auprès de votre temple », et non pas : c’est dans votre saint temple que je veux vous adorer, mais bien : « C’est auprès de votre saint temple que je me prosternerai ». Cet état

  1. Mat. 5,37
  2. Sag. 1,11
  3. Jn. 16,12
  4. 1Co. 3,1
  5. Psa. 5,7
  6. Id. 8
  7. Id. 8,5
  8. 1Co. 3,17
  9. Eph. 2,10
  10. Psa. 5,8