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c’est-à-dire, c’est en brisant les dents des pécheurs, que tu as frappé mes adversaires. C’est en effet le châtiment des adversaires qui a brisé leurs dents, ou plutôt anéanti et comme réduit en poussière les paroles des pécheurs qui déchiraient le Fils de Dieu par leurs malédictions : ces dents seraient alors des malédictions, dans le même sens que l’Apôtre a dit : « Si vous vous mordez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous détruisiez les uns les autres[1] ». Ces dents des pécheurs peuvent se dire encore des princes des pécheurs, qui usent de leur autorité pour retrancher quelque membre de la société des bons et l’incorporer avec les méchants. À ces dents sont opposées les dents de l’Église, qui s’efforce d’arracher à l’erreur des païens et des dogmes hérétiques, les vrais croyants, et de se les unir, à elle qui est le corps du Christ. C’est encore avec ces dents qu’il fut recommandé à Pierre de manger des animaux mis à mort[2], c’est-à-dire de faire mourir chez les Gentils ce qu’ils étaient, pour les transformer en ce qu’il était lui-même. Enfin, ces mêmes dents ont fait dire à l’Église : « Tes dents sont comme un troupeau de brebis qui montent du lavoir ; nulle qui ne porte un double fruit, ou qui demeure stérile[3] ». Belle image de ceux qui instruisent, et qui vivent selon les préceptes qu’ils donnent ; qui accomplissent cette recommandation : « Que vos œuvres brillent aux yeux des hommes, afin qu’ils bénissent votre Père qui est dans les cieux[4] ». Cédant à l’autorité de ces prédicateurs, les hommes croient au Dieu qui parle et qui agit en eux, se séparent du siècle selon lequel ils vivaient, pour devenir membres de l’Église. Des prédicateurs qui obtiennent de semblables résultats, se nomment avec raison des dents semblables aux brebis que l’on vient de tondre, parce qu’ils ont déposé le fardeau des terrestres soucis, qu’ils montent du lavoir, ou du bain du sacrement de baptême, qui les a purifiés de toute souillure, et qu’ils engendrent un double fruit. Ils accomplissent en effet les deux préceptes dont il est dit : « Ces deux préceptes renferment la loi et les Prophètes[5] » ; car ils aiment Dieu de tout leur cœur, de toute leur âme, de tout leur esprit, et le prochain comme eux-mêmes. Nul chez eux n’est stérile puisqu’ils fructifient ainsi pour Dieu. En ce sens donc nous devons entendre : « Tu as brisé les dents des pécheurs », puisque tu as anéanti les princes des pécheurs en frappant ceux qui gratuitement s’élevaient contre moi. Le récit de l’Évangile nous montre en effet que les princes persécutaient Jésus, et que la multitude le traitait avec honneur.

8. « Le salut vient du Seigneur ; et que tes bénédictions, ô Dieu, se répandent sur ton peuple[6] ». Dans le même verset, le Prophète enseigne aux hommes ce qu’ils doivent croire, et il prie pour ceux qui croient. Car cette partie : « Le salut vient du Seigneur », s’adresse aux hommes ; mais l’autre partie n’est pas : « Et que sa bénédiction se repose sur son peuple », ce qui serait entièrement pour les hommes. Le Prophète s’adresse à Dieu en faveur du peuple à qui il a dit : « Le salut vient du Seigneur ». Qu’est-ce à dire ? sinon : Que nul ne se confie en soi-même, parce que c’est à Dieu seul de nous délivrer de la mort du péché. « Malheureux homme que je suis », dit en effet l’Apôtre, « qui me délivrera de ce corps de mort ? la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur[7] ». Mais toi, Seigneur, bénis ton peuple qui attend de toi son salut.

9. On pourrait, dans un autre sens, appliquer ce psaume à la personne du Christ, qui parlerait dans sa totalité. Je dis totalité, à cause du corps dont il est le chef, selon cette parole de l’Apôtre : « Vous êtes le corps et les membres du Christ[8] ». Il est donc le chef de cette corporation. Aussi est-il dit ailleurs : « Faisant la vérité dans ta charité, croissons de toute manière en Jésus notre chef, par qui tout le corps est joint et uni[9] ». C’est donc l’Église avec son chef, qui, jetée dans les tourmentes des persécutions, sur toute la terre, comme nous l’avons déjà vu, s’écrie par la bouche du Prophète ; « Combien sont nombreux, Seigneur, ceux qui me persécutent, combien s’élèvent contre moi[10] », pour exterminer le nom chrétien ! « Beaucoup disent à mon âme : Point de salut pour toi dans ton Dieu[11] ». Car ils ne concevraient point l’espoir de perdre l’Église qui s’accroît partout, s’ils ne croyaient que Dieu n’en prend aucun souci. « Mais toi, Seigneur, tu me soutiendras[12] » par Jésus-Christ. C’est en son humanité que l’Église a trouvé l’appui du Verbe, « qui s’est fait

  1. Gal. 5,15
  2. Act. 10,13
  3. Cant. 4,2 ; 6,5
  4. Mt. 5,16
  5. Mt. 22,40
  6. Ps. 3,9
  7. Rom. 7,24-25
  8. 1 Cor. 12,27
  9. Eph. 4,15-16
  10. Ps. 3,2
  11. Id. 3
  12. Id. 4