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attendri : Ne frappez pas, épargnez mon sang ; Dieu ne te dit-il pas aussi : « Prends pitié de ton âme pour plaire au Seigneur[1] ? » C’est peut-être ton âme qui te crie : Conjure-le de ne pas frapper, autrement je te quitte ; je ne pourrais plus alors demeurer avec toi, et si tu veux que je te reste, demande-lui de ne frapper pas. Or, quelle est cette âme qui dit : Si tu veux que je te reste ? C’est toi-même ; toi qui parles ainsi, tu es l’âme ; et c’est toi qui fuis, si l’ennemi frappe le corps, c’est toi qui t’en vas, qui émigres, pendant que la poussière restera gisant sur la poussière. Où sera alors ce principe qui a animé cette poussière ? Que deviendra cet esprit que t’a donné le souffle de Dieu ? S’il n’a point exhalé sa vie, son Dieu même, il demeurera en lui ; oui, s’il ne l’a point perdu, s’il ne l’a point éloigné, c’est en lui que demeurera ton esprit. Or, si tu as égard à la faiblesse de ton âme quand elle te crie : Il va me frapper et je te laisse ; tu ne crains point quand Dieu même te dit : Je t’abandonne si tu pèches ?

7. Je voudrais que nos vaines frayeurs nous inspirassent une frayeur utile. C’est une vaine frayeur que celle de tous ces hommes qui redoutent de perdre ce qui ne peut se conserver toujours, qui doivent sortir un jour d’ici et qui tremblent d’en sortir, qui veulent enfin retarder toujours ce qui doit inévitablement s’accomplir. Oui, ce sont là de vaines frayeurs ; et pourtant elles existent, on les ressent vivement, on ne saurait s’y soustraire. Mais c’est là aussi ce qui doit nous servir à blâmer, à réprimander, à plaindre et à pleurer ces malheureux qui ont peur de mourir et qui ne travaillent qu’à retarder un peu la mort. Pourquoi ne travaillent-ils pas à ne mourir jamais ? Parce que, malgré tout, ils n’y parviendront pas. Ne peuvent-ils donc rien faire pour y parvenir ? Absolument rien. Quoique tu fasses en effet, prends toutes les précautions possibles, fuis où tu voudras, abrite-toi sous les plus solides remparts, emploie toutes les richesses imaginables à racheter ta vie, et tous les plus habiles stratagèmes pour déjouer l’ennemi ; une fièvre suffit pour t’arrêter, et en essayant de tous les moyens pour ne pas expirer immédiatement sous les coups de l’ennemi, tu obtiens tout au plus de mourir de la fièvre un peu plus tard. Tu peux toutefois ne mourir jamais. Si tu crains la mort, aime la vie. Or, ta vie est Dieu même, ta vie est le Christ, ta vie est l’Esprit-Saint. Ce n’est pas en faisant mal que tu lui plais ; il ne veut pas d’un temple ruineux, il n’entre point dans un temple souillé. Ah ! gémis devant lui pour obtenir qu’il purifie son sanctuaire ; gémis devant lui pour qu’il rebâtisse son temple, pour qu’il relève ce que tu as abattu, pour qu’il répare ce que tu as détruit, pour qu’il refasse ce que tu as défait. Crie vers Dieu, crie dans ton cœur, c’est là qu’il entend ; car si tu pèches où plonge son regard, tu dois crier où il, a l’oreille ouverte.

8. Et pourtant lorsque tu auras redressé en toi la crainte, lorsque tu auras commencé à redouter à ton profit, non pas des tourments passagers, mais le supplice des flammes éternelles, lorsqu’en conséquence tu ne commettras plus d’adultère, car c’est de ce vice que nous avons été amenés à parler à cause de ces mots de l’Apôtre : « Vos corps sont les membres du Christ » ; lors donc que la peur de brûler dans le feu qui ne s’éteint point t’aura fait renoncer à l’adultère, tu ne mériteras point d’éloge encore : sans doute tu seras moins à plaindre qu’auparavant, mais tu ne seras point encore à louer. En effet, qu’y a-t-il d’honorable à craindre le châtiment ? Ce qui est beau, c’est d’aimer la justice. Pour te connaître, je vais t’interroger. Ecoute mes questions retentissant à ton oreille, et interroge-toi en silence. Dis-moi donc : Lorsque vaincu par la passion ta as une complice, pourquoi ne commets-tu pas l’adultère ? – Parce que je crains, répondras-tu, je crains l’enfer, je crains le supplice des feux éternels ; je crains le jugement du Christ, je crains la société du démon, je crains d’être condamné par le premier et de brûler avec l’autre. – Eh quoi ! blâmerai-je cette crainte, comme je t’ai blâmé de craindre l’ennemi qui cherchait à t’ôter la vie du corps ? Je te disais alors et avec raison : Tu as tort, car ton Seigneur t’a rassuré par ces mots : « Gardez-vous de craindre ceux qui tuent le corps ». Maintenant que tu t’écries : Je crains l’enfer, je redoute d’être brûlé, j’ai peur d’être châtié éternellement, que.répondrai-je ? Que tu as tort ? Que ta crainte n’est pas fondée ? Je ne l’ose, puisqu’après avoir condamné ta crainte, le Seigneur t’a recommandé de craindre. « Gardez-vous de redouter, a-t-il dit, ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent plus rien après

  1. Sir. 30, 24