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dez sans vous priver de rien, pardonnez pour qu’on vous pardonne ?

Nous devons néanmoins dire encore : Donnez et on vous donnera ; car le Seigneur a compris ces deux devoirs dans le même précepte ce sont deux actes de miséricorde qu’il prescrit également. « Pardonnez, et on vous pardonnera », c’est la miséricorde exercée par l’oubli des injures ; « donnez et on vous donnera[1] », c’est la miséricorde pratiquée par la distribution des aumônes. Mais Dieu ne fait-il pas pour nous davantage ? Que pardonnes-tu à ton frère ? Une offense d’homme à homme. Qu’est-ce que Dieu te pardonne, à toi ? L’offense faite par un homme à Dieu même. N’y a-t-il aucune différence entre offenser un homme et offenser Dieu ? Dieu donc fait pour toi davantage ; au lieu que tu pardonnes simplement l’outrage fait à un homme, il pardonne, lui, l’injure faite à la majesté divine. Il en est ainsi quand il s’agit de la miséricorde qui consiste à donner. Toi, tu donnes du pain, et lui, donne le salut ; tu donnes à un homme altéré, une boisson quelconque, il te donne, lui, le breuvage de sa sagesse. Y a-t-il même une comparaison à établir entre ce que tu donnes et ce que tu reçois ? Voilà comment il faut prêter à usure. Veut-on être usurier ? Je ne m’y opposerai nullement, mais à la condition qu’on prêtera à Celui qui ne saurait s’appauvrir en rendant beaucoup plus, et à qui appartient encore le peu que tu lui donnes pour recevoir infiniment mieux.

5. Je veux prévenir aussi votre sainteté qu’on fait doublement miséricorde lorsqu’on remet soi-même l’aumône aux pauvres. On ne doit pas seulement se montrer bon en leur donnant, on doit aussi se montrer humble en les servant. N’est-il pas vrai, mes frères, qu’en mettant sa main dans la main de l’indigent à qui il donne, le cœur du riche semble ressentir davantage les infirmités communes à l’humanité ? À la vérité l’un donne et l’autre reçoit, mais ils se montrent unis parce que l’un sert l’autre ; car ce n’est pas le malheur précisément, c’est l’humilité qui nous rapproche. Vos richesses, s’il plaît à Dieu, vous resteront, à vous et à vos enfants. Mais faut-il même parler de ces richesses terrestres que vous voyez exposées à tant d’accidents ? Le trésor est en paix dans la maison, mais il ne laisse pas en paix celui qui le possède. On craint le larron, on craint les brigands, on craint le serviteur infidèle, on craint un voisin mauvais et puissant ; plus on a, plus on craint. Ah ! si tu donnais à Dieu en donnant aux pauvres, tu ne perdrais rien et tu serais tranquille ; car Dieu même te conserverait ton trésor dans le ciel, tout en te donnant sur la terre ce qui t’est nécessaire. Aurais-tu peur que le Christ ne vînt à perdre ce que tu lui confierais ? Mais chacun ne cherche-t-il point, parmi ses serviteurs, un dépensier fidèle pour lui confier son argent ? Si ce dépensier peut ne rien dérober, il ne dépend pas également de lui de ne rien perdre. Qu’y a-t-il de comparable à la fidélité du Christ ? Qu’y a-t-il de plus divin que sa toute-puissance ? Il ne saurait ni te rien dérober, puisque c’est lui qui t’a tout donné dans l’espoir que tu lui donnerais à ton tour ; ni rien perdre, parce qu’il garde tout avec sa toute-puissance. Ce qui console le cœur, quand vous donnez des repas de charité, c’est qu’alors on nous voit donner nous-mêmes. Oui, nous donnons alors notre bien et nous le donnons par nous-mêmes, quoique nous ne donnions que ce que nous avons reçu de Dieu. Ah ! mes frères, qu’il est bon, qu’il est agréable à Dieu que vous donniez de vos propres mains ! C’est lui qui reçoit, lui encore qui te rendra, bien qu’avant de te devoir il t’ait donné pour que tu pusses donner. Au devoir de donner alliez donc le devoir de servir. Pourquoi perdre l’une des deux récompenses, quand tu peux les avoir toutes deux ? Ne peut-on donner à tous les pauvres ? Qu’on leur donne selon ses moyens, mais avec joie : « car Dieu aime qui donne avec joie[2] ». On nous propose d’acheter le royaume des cieux à quelque prix que ce soit ; et celui qui n’a que deux deniers ne saurait dire qu’il ne peut en faire l’acquisition. N’est-ce pas le prix que l’a acheté la veuve de l’Évangile[3] ?

6. Voilà finis nos jours de fête ; ils vont être suivis des jours de traités, de réclamations et de procès : examinez, mes frères, comment vous devez vous conduire alors. Le repos des jours que nous venons de célébrer a dû vous inspirer de la douceur et non des desseins de procès. Il est, hélas ! des hommes qui n’ont

  1. Luc. 6, 37, 38
  2. 2Co. 9, 7
  3. Luc. 21, 2