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rien ne dépare ? Si nous y voyons encore, quand on a vanné, la paille amoncelée d’un côté, nous y voyons d’autre part le blé entassé ; mais nous savons à quoi est destinée cette paille et avec quelle allégresse le laboureur contemple ce froment. De même donc qu’on voit sur l’aire d’abord et avec une joie immense à la suite de tant de travaux, des monceaux de froment séparés de la paille où ils étaient cachés, où on ne les voyait pas même pendant que l’on battait, et qu’ensuite ils seront mis au grenier pour y être conservés et dérobés aux regards ; ainsi dans ce monde mime où vous voyez avec quelle ardeur on foule cette aire, comment la paille est mêlée tu bon grain, comment il est difficile de l’en distinguer parce qu’on ne l’a pas vannée encore, on contemplera, après la séparation faite au grand jour du jugement, la multitude des saints tout éclatante de beauté, comblée de grâces et de mérites, et toute rayonnante de la miséricorde de son Libérateur[1] ! On sera alors au septième jour du monde, coron peut compter comme premier jour le temps qui s’est écoulé depuis Adam jusqu’à Noé ; comme second, depuis Noé jusqu’à Abraham ; adoptant ensuite les divisions établies dans l’Évangile selon saint Matthieu, le troisième jour ira d’Abraham à David ; le quatrième, de David à la captivité de Babylone ; le cinquième, de la captivité de Babylone à l’avènement de Jésus-Christ Notre-Seigneur[2]. Il s’ensuit que le sixième jour s’écoule, que nous sommes au sixième jour depuis cet avènement du Sauveur ; et de même que d’après la Genèse, c’est le sixième jour que l’homme a été formé à l’image de Dieu[3], ainsi c’est maintenant et comme au sixième jour du monde, que nous recevons dans le Baptême une vie nouvelle pour graver en nous de nouveau l’image de notre Créateur. Et quand ce sixième jour sera écoulé, quand aura été faite la grande séparation, viendra le repos et le sabbat mystérieux des saints et des justes de Dieu. À la suite de ce septième jour, quand on aura contemplé sur l’aire même cette belle récolte, à gloire et les mérites des saints, nous entrerons dans cette vie et dans cette paix dont il est dit que l’œil n’a point vu, que l’oreille n’a point entendu, que dans le cœur de l’homme n’est point monté ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment[4] ». Ne sera-ce pas alors revenir en quelque sorte au commencement ? Quand aujourd’hui sont passés les sept jours de la semaine, le huitième jour redevient le premier d’une semaine nouvelle ; ainsi, quand seront écoulés et terminés les sept âges de ce siècle où tout passe, nous rentrerons dans cette immortalité bienheureuse d’où l’homme s’est laissé tomber. Aussi est-ce le huitième jour que finit la fête des nouveaux-baptisés. Aussi est-ce en multipliant sept par sept que l’on obtient quarante-neuf pour arriver à cinquante en y ajoutant cette unité qui recommence tout. On sait que ce n’est pas sans des raisons mystérieuses que jusqu’à la Pentecôte on solennise ce nombre de cinquante, qui se reproduit également lorsque, pour un autre motif, à quarante on ajoute dix, le denier de la récompense. Ces deux calculs nous conduisent donc au nombre cinquante. Or, en le multipliant par trois, en l’honneur de l’auguste Trinité, on parvient à cent cinquante, et en ajoutant trois à ce dernier nombre, pour avertir qu’il a été multiplié par trois, l’image des divines personnes, on retrouve l’Église dans nos cent cinquante-trois poissons.

3. Mais en attendant et jusqu’à ce que nous parvenions à ce repos heureux ; maintenant que nous nous fatiguons en quelque sorte durant la nuit, puisque nous ne voyons rien de ce que nous espérons ; maintenant que nous marchons dans le désert pour arriver à la Jérusalem du ciel, à cette terre promise où coulent le lait et le miel ; maintenant que les tentations ne cessent pas de nous assaillir, appliquons-nous à faire le bien. Ayons toujours près de nous un remède, pour guérir nos blessures de chaque jour. Ce remède n’est-il pas dans les bonnes œuvres de miséricorde ? Veux-tu, en effet, obtenir de Dieu miséricorde ? Exerce la miséricorde. Si tu refuses, tout homme que tu es, d’être humain envers ton semblable, Dieu refusera à son tour de te rendre divin, c’est-à-dire de t’accorder cette incorruptible immortalité qui fait de nous des dieux.

En effet, Dieu n’a aucunement besoin de toi ; c’est toi qui as besoin de Dieu. Pour être heureux il ne te demande rien ; et s’il ne te donne,

  1. Cette opinion empruntée aux Millénaires a été plus tard abandonnée par saint Augustin (Cité de Dieu, liv. 20, ch. 7 ; 21, ch. 30
  2. Mat. 1, 17
  3. Gen. 1, 26-27
  4. 1Co. 2, 9