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mon Fils, je vous ai engendré aujourd’hui ; demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage et pour domaine jusqu’aux extrémités de l’univers[1] ». Ce n’est pas que les Gentils ne parlent que grec et latin ; c’est que ces deux langues l’emportent sur les autres : la langue grecque, à cause de sa littérature ; la langue latine, à cause de l’habileté politique des Romains. Les trois langues annonçaient donc que toute la gentilité se soumettrait à porter le joug du Christ. Le titre néanmoins ne portait pas Roi des Gentils, mais Roi des Juifs : c’était afin de rappeler par ce nom propre l’origine même de la race chrétienne. « La loi viendra de Sion, est-il écrit, et de Jérusalem la parole du Seigneur[2] ». Quels sont d’ailleurs ceux qui disent avec un psaume : « Il nous a assujetti les peuples, il a mis à nos pieds les Gentils[3] » ; sinon ceux dont parle ainsi l’Apôtre : « Si les Gentils sont entrés en partage de leurs biens spirituels, ils doivent leur faire part à leur tour de leurs biens temporels[4] ? »

7. Quand les princes des Juifs demandèrent à Pilate de ne pas mettre, dans un sens absolu, qu’il était Roi des Juifs, mais d’écrire seulement qu’il prétendait l’être[5] ; Pilate fut appelé à figurer comment l’olivier sauvage serait greffé sur les rameaux rompus ; car Pilate appartenait à la gentilité et il écrivait alors la profession de foi de ces mêmes Gentils dont Notre-Seigneur avait dit lui-même : « Le royaume de Dieu vous sera enlevé et a donné à une nation fidèle à la justice[6] ». Il ne s’ensuit pas néanmoins que le Sauveur ne soit pas le Roi des Juifs. N’est-ce pas la racine qui porte la greffe sauvage et non cette greffe qui porte la racine ? Par suite de leur infidélité, ces rameaux sans doute se sont détachés du tronc ; mais il n’en faut pas conclure que Dieu ait repoussé le peuple prédestiné par lui. « Moi aussi, dit saint Paul, je suis Israélite[7] ». De plus, quoique les fils du royaume se jettent dans les ténèbres pour n’avoir pas voulu que le Fils de Dieu régnât sur eux, beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident pour prendre place au banquet, non pas avec Platon et Cicéron, mais avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux[8]. Pilate aussi écrivit Roi des Juifs, et non pas Roi des Grecs et des Latins, quoiqu’il dût régner sur les Gentils ; et ce qu’il écrivit, il l’écrivit sans consentir à le changer malgré les réclamations de ces infidèles[9] : c’est que bien longtemps auparavant il lui avait été dit au livre des psaumes : « N’altère point le titre, tel qu’il est écrit[10] ». C’est donc au Roi des Juifs que croient tous les Gentils ; il règne sur toute la gentilité, mais comme Roi des Juifs. Telle a donc été la sève de cette racine, qu’elle a pu communiquer sa nature au sauvageon greffé sur elle, sans que ce sauvageon ait pu lui ôter son nom d’olivier véritable.

8. Si les soldats s’approprièrent ses vêtements, après en avoir fait quatre parts[11] ; c’est que ses sacrements devaient se répandre dans les quatre parties du monde.

9. S’ils tirèrent au sort, au lieu de la partager entre eux, sa tunique sans couture et d’un seul tissu, depuis le haut jusqu’en bas[12], ce fut pour démontrer clairement que tous, bons ou méchants, peuvent recevoir sans doute les sacrements extérieurs, qui sont comme les vêtements du Christ ; mais que cette foi pure qui produit la perfection de l’unité et qui la produit par la charité qu’a répandue dans nos cœurs le Saint-Esprit qui nous a été donné[13], n’est pas le partage de tous, mais un don spécial, fait comme au hasard, par la grâce secrète de Dieu. Voilà pourquoi Pierre dit à Simon, qui avait reçu le baptême, mais non pas cette grâce : « Il n’y a pour toi ni a part, ni sort dans cette foi[14] ».

10. Du haut de la croix il reconnut sa Mère et la recommanda au disciple bien-aimé[15] ; c’était, au moment où il mourait comme homme, montrer à propos des sentiments humains ; et ce moment n’était pas encore arrivé, quand sur le point de changer l’eau en vin, il avait dit à cette même Mère : « Que nous importe, à moi et à vous ? Mon heure n’est pas encore venue[16] ». Aussi n’avait-il pas puisé dans Marie ce qui appartenait à sa divinité, comme en elle il avait puisé ce qui était suspendu à la croix.

11. S’il dit : « J’ai soif », c’est qu’il avait soif de la foi de son peuple ; mais comme « en venant chez lui il n’a pas été reçu par les siens[17] »,

  1. Psa. 2, 6, 7
  2. Isa. 2, 3
  3. Psa. 46, 4
  4. Rom. 15, 27
  5. Jn. 19, 21
  6. Mat. 21, 43
  7. Rom. 11, 1-2, 17
  8. Mat. 8, 11
  9. Jn. 19, 22
  10. Psa. 56, 1 ; 57, 2
  11. Jn. 19, 23
  12. Ib 23-24
  13. Rom. 5, 5
  14. Act. 8, 21
  15. Jn. 19, 26-27
  16. Id. 2, 4
  17. Jn. 1, 11