Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/234

Cette page n’a pas encore été corrigée

votre céleste mère qui vient à votre rencontre ; elle vous invite avec joie, elle vous presse de rechercher la vie, et d’aimer à voir ces jours heureux que vous n’avez pas eus encore et que jamais vous n’aurez dans ce siècle. Là, en effet, vos jours s’en allaient comme la fumée, car ils ne peuvent augmenter sans diminuer, croître sans décroître, ni monter sans s’évanouir. Vous qui avez vécu dans le péché durant des années si multipliées et si malheureuses, aspirez à vivre en Dieu, non pas durant de longues années, puisqu’après tout elles auront un terme et qu’elles courent toutes pour s’anéantir dans l’ombre de la mort, mais durant les années heureuses qui ne se séparent point parce qu’elles sont éclairées par la Vérité même et qu’on y jouit de la vie qui ne s’épuise point. Là, vous n’éprouverez ni faim, ni soif, ni fatigue, parce que la foi sera votre nourriture et la sagesse votre breuvage. Car, si par la foi, maintenant, vous bénissez le Seigneur au sein de son Église, en le contemplant alors face à face, vous vous abreuverez abondamment aux fontaines d’Israël.

5. En attendant, toutefois, que vos larmes vous servent de pain la nuit et le jour dans ce pèlerinage, pendant que chaque jour on vous demande : Où est votre Dieu[1] ? sans que vous puissiez montrer à ces hommes charnels ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce que n’a point pressenti le cœur de l’homme[2] ; gardez-vous de déchoir jusqu’au moment où vous arriverez, où vous vous montrerez en présence de votre Dieu ; car il viendra lui-même accomplir ces promesses, lui qui spontanément s’est fait votre débiteur, lui qui n’a rien emprunté à personne et qui a daigné s’obliger à vous devoir. C’est nous qui lui devions, et nos dettes égalaient nos péchés. Lui est venu sans rien devoir, puisqu’il n’avait pas fait le mal ; il nous a trouvé sous le poids d’une créance ruineuse et coupable, et rendant ce qu’il n’avait pas dérobé, il nous a déchargés dans sa miséricorde d’une dette éternelle. Nous avions commis la faute et nous ne pouvions qu’en attendre le châtiment ; lui, sans être complice de cette faute, a voulu en porter la peine et nous remettre ainsi la peine avec la faute. C’est lui effectivement qui délivrera de leurs dettes et de leurs iniquités les âmes de ceux qui croies et qui disent du fond du cœur, chacun particulier : « Je compte voir les biens du Seigneur dans la terre des vivants[3] ». Or ; cette terre, il faut y aspirer, non pas d’une manière morte et toute terrestre, mais avec un cœur céleste en quelque sorte et tout vivant. Aussi est-ce d’elle que parle en chantant avec allégresse dans un autre psaume, un cœur tout épris d’amour pour elle : « Vous êtes mon espoir, mon partage dans la terre des vivants[4] ». On marche à sa conquête, lorsque sur cette terre on mortifie vigoureusement ses membres, non pas les membres dont la réunion forme le corps humain, mais les membres qui malheureusement affaiblissent l’énergie de l’âme. Ce sont ceux que fait connaître clairement et que nomme l’apôtre saint Paul, et vase d’élection, quand il dit : « Mortifiez vos membres qui sont sur la terre, la fornication, l’impureté, le trouble, la convoitise coupable et l’avarice qui est une idolâtrie[5] ». Voilà ce que vous devez mortifier sur cette terre de mourants, si vous désirez vivre sur cette autre terre, la terre des vivants. Devenez ainsi les membres du Christ, mais non pour prendre ces membres et en faire les membres d’une prostituée. Est-il en effet prostituée plus ignominieuse et plus vile que la fornication, nommée en premier lieu, et que l’avarice en dernier ? C’est avec raison que cette avarice est traitée d’idolâtrie, car il faut éviter non-seulement la dissolution du corps mais encore la perte du sentiment dans l’âme pour ne pas tomber sous la menace du chaste Époux, du juge sévère, à qui il est dit : « Vous avez fait périr quiconque se prostitue loin de vous ». Ah ! qu’il est bien mieux, qu’il est bien plus avantageux pour chacun de vous de lui crier avec un cœur chaste : « Mon bonheur est de m’attacher à Dieu[6] ». Cet attachement intime est produit par l’amour dont il est dit également : « Aimez sans dissimulation, abhorrant le mal et vous unissant au bien[7] ».

6. Voilà, voilà l’arène où vous devez combattre à la lutte, poursuivre à la course, frapper au pugilat. Voulez-vous étouffer dans vos bras cet ennemi funeste qui lutte contre votre foi ? Foulez aux pieds le mal, embrassez le bien. Voulez-vous atteindre à la course ? Fuyez l’iniquité,

  1. Psa. 41, 4
  2. 1Co. 2, 9
  3. Psa. 71, 14 ; 26, 13
  4. Psa. 141, 6
  5. Col. 3, 5
  6. Psa. 72, 27-28
  7. Rom. 12, 9