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tribunaux de s’être livré à la débauche et à l’impureté avec ses actrices ? Quel mari a été dénoncé pour avoir violé sa servante ? Je parle de la terre et non du ciel, des lois du monde et non des lois du Créateur du monde. On va même jusqu’à proclamer heureux ces voluptueux, ces débauchés et ces infâmes, à cause des plaisirs qu’ils se procurent en abondance, et des délices dont ils jouissent. Que dis-je ? S’ils se gorgent de vin, si sans mesure ils boivent des mesures, on ne se contente pas de ne les pas accuser, on vante leur courage ; hommes, hélas ! d’autant plus abjects qu’ils tremblent moins sous le poids de la boisson. Or, pendant qu’on les loue de tels actes, pendant qu’on vante leur félicité, leur grandeur, leur bien-être ; pendant que loin de regarder tout cela comme coupable, on ose le considérer soit comme une faveur du ciel, soit au moins comme un bien agréable, délicieux et innocent, apparaît tout à coup la loi de Dieu qui s’écrie : « Tu ne convoiteras point ». Cet homme donc qui considérait comme un grand bien, comme une grande félicité de ne refuser à la concupiscence rien de ce qu’il pouvait lui accorder et de suivre tous ses attraits, entend alors cette défense : « Tu ne convoiteras pas », et il apprend que la convoitise est un péché. Dieu a parlé, l’homme a entendu, il a cru, il connaît le péché, il considère comme mal, ce qui était bien à ses yeux ; il veut réprimer la convoitise, n’en être plus l’esclave ; il se retient, il fait effort, mais le voilà vaincu. Hélas ! il ne connaissait pas son mal, et il ne l’a appris que pour être plus honteusement vaincu, car il est non-seulement pécheur, mais encore prévaricateur. Sans doute il péchait auparavant ; mais il ne se croyait pas pécheur avant d’entendre la loi. La loi lui a parlé, il connaît le péché ; en vain il travaille à vaincre, il est battu, il est renversé, et de pécheur qu’il était à son insu, le voilà prévaricateur de la loi. C’est la doctrine contenue dans ces mots de l’Apôtre : « La loi péché ? loin de là. Cependant je n’ai connu le péché que par la loi ; car je ne connaîtrais pas la concupiscente, si la loi ne disait : Tu ne convoiteras point ».

7. « Or, prenant occasion du commandement, le péché a opéré en moi toute concupiscence ». La concupiscence était moindre quand, avant la loi, tu péchais sans inquiétude ; maintenant que la loi dresse devant toi ses digues, ce fleuve de convoitise semble contenu tant soit peu ; hélas ! il n’est point à sec, et les vagues qui t’entraînaient avant qu’il y eût des digues, grossissant de plus en plus, rompent les digues et t’engloutissent. Oui la concupiscence était moindre en toi quand elle ne faisait que te porter au plaisir ; n’est-elle pas à son comble, maintenant qu’elle foule aux pieds la loi même ? Veux-tu avoir une idée de sa violence ? Vois comme elle se joue de cette défense : « Tu ne convoiteras point ! » Cette défense toutefois ne vient pas d’un homme, d’un être quelconque ; elle vient de Dieu même, du Créateur, du juge éternel. Respecte-la donc. Tu n’en fais rien. Remarque que le législateur est aussi ton juge. Mais que feras-tu devant lui, malheureux ? Si tu n’as pas vaincu, c’est que tu t’es confié en toi.

8. Aussi bien remarque les paroles qui précèdent et qui te semblaient obscures : « Lorsque nous étions dans la chair ». Oui remarquez bien ces paroles, les premières de ce passage qui nous paraissait obscur : « Lorsque nous étions dans la chair, les passions du péché, occasionnées par la loi ». Comment étaient-elles occasionnées par la loi ? Parce que nous étions dans la chair. Qu’est-ce à dire, « nous étions dans la chair ? » Nous présumions de la chair. En effet, lorsque l’Apôtre tenait ce langage, avait-il déjà quitté cette chair ou s’adressait-il à des hommes que la mort en eût fait sortir ? Non sans doute, mais lui et eux étaient dans cette chair comme on y est durant cette vie. Que signifie alors : « Lorsque nous étions dans cette chair », sinon lorsque nous présumions de la chair, autrement, de nous-mêmes ? N’est-ce pas à des hommes, à tous les hommes que s’adressaient ces mots : « Toute chair verra le Sauveur envoyé par Dieu[1] ? » Or que veut dire : « Toute chair », sinon tout homme ? Que veut dire également : « Le Verbe s’est fait chair[2] », sinon : Le Verbe s’es, fait homme ? Le Verbe en effet n’a pas pris une chair sans âme ; la chair désigne l’homme datas cette phrase : « Le Verbe s’est fait chair ». Ainsi donc, « lorsque nous étions dans la chair », en d’autres termes, lorsque nous nous livrions aux convoitises de la chair et

  1. Isa. 40, 5 ; Luc. 3, 6
  2. Jn. 1, 14