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autres obligations l’évêque doit être, selon l’Apôtre, puissant en bonne doctrine, afin de pouvoir confondre les contradicteurs. Quelle œuvre importante ! quel lourd fardeau ! quelle pente rapide ! Mais « j’espérerai en Dieu, est-il écrit, car il me délivrera lui-même du piège des chasseurs et des dures paroles[1] ». C’est qu’il n’est rien, comme la crainte des paroles dures, pour rendre indolent un ministre de Dieu quand il s’agit de confondre les contradicteurs.

2. Je commencerai donc, autant que Dieu m’en fera la grâce, par vous expliquer ce que signifie « confondre les contradicteurs ». Le mot contradicteur est susceptible de plusieurs sens. Très-peu en effet nous contredisent par leurs paroles, mais beaucoup par leur vie désordonnée. Quel chrétien oserait me soutenir qu’il est bien de dérober ce qui appartient à autrui, quand aucun ne se permettrait de dire qu’il est bien de conserver avec ténacité ce qui nous appartient à nous-mêmes ? Il est parlé d’un riche qui avait fait un grand héritage et qui ne trouvait plus à loger ses récoltes ; qui s’applaudissait du dessein, conçu tout à coup, de détruire ses vieux greniers pour en construire de nouveaux et les remplir, et qui disait à son âme : « Voilà, mon âme, que pour longtemps tu as beaucoup de bien : livre-toi à la joie, au plaisir, à la bonne chère ». Mais ce riche cherchait-il à s’emparer du bien d’autrui ? Il voulait faire ses récoltes et songeait au moyen de les rentrer ; il ne pensait ni à s’emparer des champs de ses voisins, ni à déplacer les bornes, ni à dépouiller le pauvre, ni à tromper le simple, mais uniquement à loger, ce qui était à lui. Or, parce qu’il tenait à ce qui lui appartenait, apprenez ce qui lui fut dit, et comprenez par là ce qu’ont à attendre les ravisseurs du bien d’autrui. Au moment donc où il croyait si sage l’idée qui lui était venue de renverser ses vieux greniers trop étroits et d’en construire de plus amples pour y rentrer et y serrer toutes ses récoltes, sans songer à convoiter ni à ravir le bien d’autrui, Dieu lui dit : « Insensé ! » car en te croyant sage tu n’es qu’un insensé ; « Insensé » donc, « cette nuit même on te redemande ton âme ; et ces biens amassés, à qui seront-ils[2] ? » Pour les avoir conservés ils ne seront plus à toi ; ils t’appartiendraient toujours, si tu les avais donnés. À quoi bon enfermer ce que tu vas quitter ? – Ainsi fut réprimandé ce misérable qui rentrait son bien par avarice. Mais si pour cette raison Dieu le traite d’insensé, quel nom, dites-moi, faut-il donner à celui qui dérobe ? Si le premier semble couvert de boue, le second n’est-il pas tout rempli d’ulcères ? Que celui-ci pourtant est loin de ressembler à ce pauvre qui gisait à la porte du riche et dont les chiens léchaient les plaies ! L’un n’avait des ulcères que dans son corps, le voleur en a dans le cœur.

3. Quelqu’un objectera peut-être : Était-ce donc pour cet avare un si terrible châtiment que d’entendre Dieu lui dire : « Insensé ! » Ah ! c’est que dans la bouche de Dieu ce mot a un tout autre effet que dans la bouche d’un homme. Dans la bouche de Dieu, c’est une sentence. Le Seigneur, en effet, donnera-t-il à des insensés le royaume des cieux ? Et que reste-t-il, sinon les peines de l’enfer, à ceux qui n’auront pas ce royaume ? Vous croyez que nous parlons ici par simple conjecture voyons la vérité dans tout son éclat. Pour revenir à ce riche qui voyait étendu à sa porte le pauvre couvert d’ulcères, il n’est pas dit de lui qu’il se fût approprié le bien d’autrui. « Il y avait, est-il écrit, un riche qui se couvrait de pourpre et de fin lin, et qui chaque jour faisait grande chère ». Il était riche, dit le Sauveur ; il n’est pas dit qu’il fût ni calomniateur, ni oppresseur des pauvres, ni ravisseur, voleur ou receleur du bien d’autrui, ni spoliateur des orphelins, ni persécuteur des veuves ; rien de tout cela : seulement « il était riche ». Est-ce un crime ? Il était riche, mais de son propre bien. Qu’avait-il dérobé ? Ah ! s’il avait dérobé, le Seigneur ne le dirait-il pas ? Cacherait-il ses fautes pour faire acception de sa personne, quoiqu’il nous défende de faire dans nos jugements acception de qui que ce soit ? Veux-tu donc savoir en quoi, consiste la culpabilité de ce riche ? ne cherche pas à connaître plus que ne te dit la Vérité même. « Il était riche, dit-elle, vêtu de pourpre et de fin lin, et faisant grande chère chaque jour ». Quel est enfin son crime ? Son crime, c’est ce pauvre couvert d’ulcères qu’il ne soulage pas, et ce fait prouve manifestement qu’il est sans entrailles. Car, mes bien-aimés, si ce malheureux qui gisait à sa porte, avait reçu de lui le pain nécessaire, serait-il écrit qu’ « il désirait se rassasier des

  1. Psa. 90, 2-3
  2. Luc. 12, 16-20