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n’offrirait pas de ressources aux constructeurs de la nouvelle Cathédrale ; cette antiquité-là, les constructeurs de la Cathédrale chrétienne ne la soupçonnaient pas, pour leur bonheur. Le recours à la nature, auquel l’art s’est exclusivement adonné pendant quatre-vingts ans et dont il ne s’est sans doute pas encore départi, lui interdirait d’accepter des conseils où il n’entendrait plus vibrer le timbre de la vie. Il ne sera pas infidèle aux leçons qu’il a reçues de la nature, et c’est elle encore, après l’avoir cherchée sur son plan physique, qu’il cherchera sur son plan spirituel en remontant, après les savants, aux principes des deux traditions sur lesquelles désormais les études vraiment classiques, comme nous l’avons dit, seront fondées, la tradition antique et la tradition gothique.

Convenons-en, ce ne sont là que des espérances encore. On nous reprocherait trop justement de rêver si nous les donnions pour des certitudes acquises. Nous craignons même que M. Enlart ait fait preuve d’un optimisme excessif en affirmant que, grâce au zèle des savants, leurs découvertes ont conquis à l’art du moyen âge l’universelle faveur des lettrés, du monde, même du peuple.

Il s’en faut que la vérité, sur ce grand sujet de l’art du moyen âge, ait réuni les suffrages des lettrés, et nous disons des grands lettrés, des plus subtils, des plus savants. Beaucoup d’entre eux en sont, du reste, encore à méconnaître la dignité de l’art, et c’est à leur incompréhension qu’il faut s’en prendre si le plus stérile des débats s’éternise à propos de la supériorité de l’art sur la science ou de la science sur l’art.

« L’art du moyen âge, écrit Renan[1], eut l’originalité en ce sens qu’il cherchait à représenter, en dehors de toute imitation d’un type classique étranger, le beau tel qu’on le concevait alors ; mais que cette conception de la beauté ne supporte point la comparaison avec la beauté antique, c’est ce qu’on ne saurait nier. Un art complet n’en pouvait sortir. Le premier pas dans la voie du progrès aurait été de renoncer à des conditions d’art désavantageuses, pour revenir à celles de l’antiquité ; mais on sent combien l’art moderne tout entier, hors de l’Italie, était dès lors frappé d’infériorité. Ce n’est jamais impunément qu’on renonce à ses pères. Si l’on échappait à la vulgarité, c’était pour tomber dans le factice. Un idéal artificiel, une statuaire forcée d’opter entre le convenu ou le laid, une architecture mensongère, voilà les deux lois que trouvèrent devant eux

  1. Histoire littéraire de la France au XIVe siècle. Discours sur l’état des Beaux-Arts.