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dans l’état d’esprit qui rend possibles l’art et la science actuels ; nous avons eu de l’individualisme tous les bénéfices qu’il pouvait nous donner, nous sentons qu’il est devenu un danger, et, dans la dispersion où nous nous débattons, c’est d’unité que nous avons de nouveau besoin. Toutes les grandes tentatives de ce temps procèdent de ce besoin et en témoignent. C’est, par exemple, cette synthèse de toutes les sciences, que cherchent les savants, et cette collaboration de tous les arts à la même œuvre, que voulut Wagner.

On comprend, dans ces conditions, que nous soyons particulièrement sensibles à la majestueuse unité symphonique de la Cathédrale, Les grands mouvements n’ont jamais rien de platonique, de désintéressé ; ils obéissent toujours au sentiment passionné de la nécessité, de l’urgence. Si nous comprenons aujourd’hui ces monuments que nos pères ne comprenaient pas, c’est que nos pères vivaient d’un esprit étranger, contraire à l’esprit des hommes qui firent ces monuments. Cet esprit d’hier — c’est celui de la Renaissance — est usé, épuisé. Il nous a fallu trouver ailleurs des éléments de vie, ou du moins une accommodation, une cohésion nouvelle des éléments épars que nous possédions. Un infaillible instinct requiert notre sympathie, par delà toutes les divergences de croyances religieuses et politiques, pour l’époque où notre génie national exprima en d’innombrables chefs-d’œuvre d’un art pur et total son vœu d’unité. La France actuelle a plus d’analogie avec le moyen âge gothique qu’avec la France de Louis XIV. — Allons-nous, définitivement affranchis du romanisme dans ce qu’il eut d’outré, bénéficiant toutefois de la Renaissance en ce qu’elle eut d’excellent, et procédant par transposition, comme l’exigent huit cents années de distance et les innombrables changements survenus durant ces longs intervalles, renouer notre tradition propre ? Ne serait-ce pas le logique aboutissement de cette paisible mais profonde révolution accomplie par la science au cours du XIXe siècle ? Pendant ce temps, l’art se rendait digne de conclure par des œuvres cette révolution. Ne voit-on pas, dans ses actuelles recherches de décoration expressive, de composition, de style, qu’il commence à discerner sa mission ?

Elle ne lui demanderait aucunement de renoncer à la part hellénique de sa culture ; nous avons dit combien il faut, dans l’histoire de l’art gothique, tenir compte de l’influence de l’orient grec, ou plus précisément néo-grec. Mais c’est d’une Grèce assimilée, francisée, que le génie gothique reçut utilement certaines inspirations. L’antiquité en soi, intacte, momifiée dans les académies et les écoles,