Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/90

Cette page a été validée par deux contributeurs.

recueil de relevés gravés intitulé : Des plus excellens bastimens de France »[1]. Il était pourtant fort enthousiaste d’art antique.

Mais ce n’étaient là que des indications isolées, sans influence. Pas plus que sur l’opinion générale quand elles se produisirent, elles n’auront d’influence sur les travaux des historiens des deux siècles suivants, qui ne voient dans ces « bastimens » que des documents, des pièces justificatives, et ne se doutent pas de leur beauté.

Il faut venir jusqu’en 1790 pour assister à de réels efforts précisément tentés pour la défense de l’art national. L’abbé Grégoire, Daunou, le géologue et archéologue Millin, qui publia un intéressant recueil d’Antiquités nationales, Alexandre Le Noir, qui fonda le Musée des Monuments français, firent preuve d’autant de clairvoyance que de courage dans la résistance qu’ils opposèrent aux vandales révolutionnaires. Mais Grégoire, en fondant l’Institut, ne pouvait prévoir que les doctes compagnies se recruteraient longtemps parmi les pires ennemis de l’art du moyen âge. Du reste, la pensée directrice, générale, la méthode, l’instinct du vrai, manquaient aux essais de Millin et de Le Noir.

C’est un Anglais, l’antiquaire Ducarel, qui, en 1792, explorant la Normandie, « attira l’attention des Français sur leurs propres monuments »[2].

Enfin, au commencement du XIXe siècle, les recherches se multiplient chez nous ; l’archéologie française va se constituer et nombre de remarquables esprits se vouent à ces études nouvelles.

Ils se trompent souvent ; c’était fatal. Nous ne nous attarderons pas à faire l’histoire de leurs erreurs. Ce qui est intéressant, c’est l’ardeur qui les anime tous contre l’aberration de la pédagogie classique, encore que plusieurs d’entre eux relèvent d’elle et ne la combattent que dans le domaine gothique ; ils n’ont que plus de mérite à montrer tant d’indépendance. Qu’importe donc un peu de hâte, parfois, à généraliser, à conclure, ou cette fausse éloquence que nous avons signalée, qu’on prodigue à défaut de documents ? Ce qui est considérable et admirable, c’est l’élan qui emporte tous les esprits à la conquête de la vérité, c’est la nouveauté de leur révolte contre un enseignement menteur, c’est le geste unanime qu’ils font pour libérer leur conscience de toute part de responsabilité dans la vieille ingratitude. On dirait qu’avec le sentiment de la beauté gothique ils

  1. Enlart, Manuel d’Archéologie française.
  2. Ibid.