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foule se désintéresse de ces œuvres commandées aux artistes par des rois ou des bourgeois : productions individuelles par leur destination et leur exécution, où ne palpite plus l’âme collective d’une race et qui déconcerteraient les imagiers tendres et fidèles nés cent ans plus tôt.

C’est à la fin du XVe siècle que le style flamboyant précipite la décadence irrémédiablement. Ce n’est pas un style, à proprement parler, « mais un simple système décoratif arbitraire, qui consiste à opposer à toute courbe une contre-courbe. À cette méthode il joint, comme toute phase dernière d’un art, le goût des complications[1] ». Cette dégénérescence n’est pas française : « Tous les caractères de l’architecture flamboyante sont d’origine britannique[2]. »

Dans les églises construites selon ses principes, tout est sacrifié à la grâce, à la légèreté, « la prédominance des vides sur les pleins est poussée à l’extrême[3] » : le monument peut garder une solidité matérielle, mais il a perdu cette solidité morale que donne l’affirmation de la force. C’est devant ces grands ouvrages sans grandeur qu’on peut dire en toute vérité de la Cathédrale qu’elle s’est envolée. Cet édifice tout en jours pèse trop peu dans l’air, il n’a plus de consistance, et ses dentelles arachnéennes le font vaciller devant le regard et flotter dans l’atmosphère. D’autre part, il a perdu tout sentiment religieux. Le génie de l’art est, du reste, orienté ailleurs, et cette époque où l’on ne sait plus composer de Cathédrales voit s’élever ces charmantes maisons particulières qui font sa gloire. Et là encore on reconnaît la nouvelle tendance, cette substitution de l’individu et de ses intérêts aux préoccupations collectives. L’individu bénéficie des forces acquises au cours des grandes entreprises de jadis. Ces forces, qui dans leur émiettement trahissent maintenant de telles entreprises, suffisent encore à l’expression des ambitions individuelles.

La sculpture et la peinture obéissent aux mêmes impulsions. Elles s’humanisent en s’individualisant. L’art tout entier est descendu de la croix pour se consacrer à l’embellissement de la vie quotidienne. Il se détourne des chemins mystiques pour se livrer à l’étude directe de la réalité. Après avoir fait de la mort son thème de prédilection au XVe siècle, il célébrera au XVIe les splendeurs de la vie : « la découverte de la grammaire ornementale et des formes de l’antiquité

  1. André Michel, Histoire de l’Art, tome II, 1re partie, Le Style flamboyant, par M. Camille Enlart.
  2. Id.
  3. Id.